Sachso
Déculassés, les culasses envoyées à Sachso, ces camions feront défaut sur le front occidental pour l’exploitation de la percée de Noël. »
Aux fours où l’on fond les grenades, l’important est de savoir profiter au mieux des rebuts inévitables et d’ailleurs admis par les Allemands. Ou bien on augmente le nombre des rebuts en y intégrant de bonnes grenades, ou bien, en se targuant d’une production accrue, on intègre des rebuts dans le lot des bonnes grenades. C’est là que Pierre Romagon, ancien responsable clandestin au hall 6 de Heinkel, manque laisser sa peau quand il sort du Revier de Sachso en 1944 après une pneumonie et crache encore le sang : « Je suis d’abord muté à la briqueterie de Gransee à trente-cinq kilomètres du camp, où travaillent également des prisonniers de guerre français. Malgré la surveillance, je prends contact avec eux et je pense pouvoir récupérer, car ils nous apportent quelques vivres en cachette. Mais voilà qu’arrive un S. S. croate, une vraie fouine enragée, qui nous accuse bien vite de relations politiques avec les P. G. Ça ne traîne pas, les vingt hommes de notre kommando sont versés à la Strafkompanie de Klinker ! Nous en sortirons vivants à trois sans qu’aucun n’ait cessé de combattre dans des conditions horribles…
« Le 14 juillet, appelés à l’interrogatoire sur nos faits et gestes de Gransee, nous recevons les vingt-cinq coups sur les fesses dans le bureau même du commandant (un petit brun) des mains d’un Hollandais qui parle français et tape comme un sourd… Après cela nous revenons à la Strafe où, grâce à mon charabia allemand, je suis bientôt désigné pour être interprète à la kolonne 2 des grenades. L’adjudant S. S. responsable de la fabrication, Weber, bête comme ses pieds, est un véritable assassin… Mais, comme je parle allemand, cela lui inspire confiance et me permet d’éviter les coups aussi bien aux Français qu’aux Russes, dont j’apprends peu à peu la langue.
« Donc, douze heures par jour et souvent sept jours par semaine, on coule des grenades qu’ensuite nous ébarbons et contrôlons pour voir si le calibre correspond à celui des armes anti-chars… En décembre 1944, les Vorarbeiter des deux kolonnes, un Polonais nommé Staho et moi, nous sommes amenés par Weber au bureau du commandant. Entrée en matière : trois ou quatre coups de poing à la figure et autant au ventre. Le Polonais et moi, nous savons de quoi il s’agit. Sur un lot de cent dix mille grenades, quatre-vingt-dix mille sont bonnes pour la refonte, refusées par le contrôle militaire. Je me rappelle en avoir laissé filer environ la moitié de mauvaises, mais derrière moi, d’autres en ont rajouté ! Privation de soupe, coups de gummi, quatre contrôleurs militaires sur le dos, telles sont les conséquences pour nos deux kolonnes. Mais, dès que les contrôleurs doivent regagner les rangs de leurs unités décimées sur l’Oder, trente mille autres grenades filent au rebut ! Fin février 1945, sans autre explication, nous prenons cinquante coups sur les fesses, puis d’autres encore à deux reprises. Quinze jours sans pouvoir nous asseoir ni nous coucher tant les reins nous font mal ! Malgré cela, seize ou dix-huit heures par jour devant les fours ! Sans le bombardement de Klinker le 10 avril 1945, je n’aurais pas tenu le coup ! »
Pourtant, même à l’enfer de la fonderie, il y a des moments où le rire perce sous le tragique, comme en ce samedi de décembre 1944 évoqué par Guy Chataigné : « Après quelques heures de marche, le four à grenades se refuse soudain à fonctionner. Nous y sommes pour beaucoup. Le vacarme assourdissant s’arrête, remplacé par les hurlements des S. S. et des Vorarbeiter particulièrement zélés dans ces cas-là. La plus élémentaire prudence, surtout pour les responsables de la panne, est d’avoir l’air très occupés. Mais voilà que le pont-roulant qui semble infatigable bien que “graissé” consciencieusement au sable à modeler par Viala, bute sur un obstacle “oublié” sur le rail, tressaute et s’arrête à son tour, sa roue motrice brisée en trois morceaux. Tout le monde s’esclaffe silencieusement, parce que là-haut, le Bordelais Ducos, son pantalon rayé retroussé en culotte cycliste, fait mine de pomper énergiquement pour “regonfler” la roue de fonte cassée. Hélas, il ne faut pas se réjouir trop ouvertement ! Un
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