Sachso
Je discute souvent avec l’un de ces Allemands, ancien volontaire en Espagne dans la brigade Thaelmann. Nous l’appelons Jean, son nom est Hans Seigewasser et il est Vorarbeiter à l’Effektenkammer. Je lui parle de mon kommando, le Sonderlager, qui est à ce moment-là bien dur et lui dis que je voudrais retourner à Heinkel, où j’étais avant. Il promet de s’en occuper et, en décembre 1943, je reviens effectivement à Heinkel. » Hans Seigewasser était à l’époque, lui aussi, membre du comité allemand clandestin ; il sera plus tard secrétaire d’État aux cultes en République démocratique allemande.
La sollicitude est encore plus marquée chez les aînés envers les jeunes. Dès la reprise en main de l’administration par les « rouges » fin 1943, le comité allemand réussit à faire admettre la création d’un block spécialement réservé aux jeunes du grand camp. Un jeune Charentais, René Lortholary, y séjourne entre son départ de Heinkel et son envoi à Buchenwald : « Prévenu par les copains de Heinkel, le collectif de Sachso me dirige aussitôt sur le block des jeunes où nous recevons des suppléments de nourriture. Je me regonfle littéralement, ce qui me permettra de tenir le coup quand je repartirai en transport. »
Le détenu même le plus affamé ne vit pas que de pain. Si la solidarité favorise l’organisation des Français, il faut aussi les informer sur la lutte du dehors, sur l’évolution de la situation qui empêche de céder au désespoir et incite à la résistance. Avec l’aide des Allemands, Charles Deléglise est orienté vers cette tâche :
« Je suis au block 27 avec beaucoup d’Allemands et de Tchèques. Le chef de block – il sera un des vingt-quatre communistes allemands fusillés le 11 octobre 1944 – et le Schreiber, un Hollandais qui a fait la guerre d’Espagne, me mettent en contact avec le vieux Paul, un ingénieur allemand qui a participé autrefois à la construction du gigantesque barrage hydroélectrique du Dnieprostoï en Union soviétique. Il parle couramment l’ukrainien mais, du français, ne sait que « la tour Eiffel… les petites femmes de Paris ». Il me prend dans le kommando Elektriker-Bau, dont il est le Vorarbeiter. Je quitte les patates du Lagerkartoffel pour l’électricité, c’est le jour et la nuit. Je suis d’abord le seul Français avec deux Ukrainiens, deux Norvégiens, trois Polonais, un Allemand et un Tchèque, Aloïs, qui parle un excellent français. Puis Bernard Vos, un gaulliste, me rejoint, grâce justement à Aloïs qui était en liaison avec lui dans son block.
« Notre chantier est le cinéma des S. S., qu’un incendie a détruit. Nous nous arrangeons pour faire durer les travaux le plus longtemps possible, tant et si bien qu’il ne refonctionnera pas avant la libération et que les Russes seront les premiers à y organiser des séances. Mais à certaines heures nous sommes plusieurs à nous retrouver dans la cabine surélevée, construite en briques, la seule partie ayant résisté au feu. C’est de ce “ Kino” que pendant plus de quinze mois nous ravitaillerons le camp en nouvelles fraîches. Car, dans la cabine, avec les accessoires des deux projecteurs, il y a un magnifique poste de radio qui devait servir à la retransmission immédiate des discours du Führer. Nous l’avons bricolé pour capter les émissions alliées. Mon copain allemand Ernst Brehmer a dissimulé assez loin du poste des prises de courant mobiles pour que l’on ne se doute pas que l’appareil puisse être branché. Nous manœuvrons les boutons avec beaucoup de précautions et mettons toujours le son au plus bas, car nous savons que la recherche des stations provoque des craquements et des sifflements dans le poste qui marche en permanence au mess des officiers S. S., tout près.
« Par sécurité, nous avons mis du gravier sous la porte du bas. Dès que ça grince, nous coupons. Le temps que quelqu’un monte les huit mètres d’escalier jusqu’à la cabine, il n’y aurait que les lampes encore un peu chaudes pour nous dénoncer, le cas échéant.
« Bernard Vos et moi, nous écoutons en français. Piotr Gavrilouk prend des notes pour ses camarades russes, Ernst Brehmer et les Norvégiens suivent les émissions en allemand. Le soir, je rends compte de ce que j’ai appris au père Bagard. Comme j’ai du mal à me souvenir des noms de villes citées dans les communiqués, je les écris au crayon sur
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