Sachso
entendre que nous devrons surveiller le comportement des ouvriers civils travaillant avec nous. Selon la bonne méthode hitlérienne, on lit au même moment, aux civils allemands réunis à leur cantine, une note identique leur enjoignant de surveiller de plus près le travail des détenus placés sous leurs ordres. »
Aux commandes hydrauliques, André Castets met quelque temps à trouver le meilleur moyen, pour lui, d’intervenir contre le He-177 : « Un raccord en Y, encastré en un endroit difficilement contrôlable, est légèrement tordu au serrage, ce qui provoque une amorce de rupture par où fuira le liquide. Mais il faut que ça tienne pendant les dix ou onze contrôles qui ont lieu avant les essais en vol. Je m’entends avec Jules Ramez, de Cahors, qui est au pupitre de commande hydraulique, pour évaluer la torsion maximum avant rupture. »
D’autres canalisations hydrauliques reçoivent les soins particuliers de François Savary, qui y oublie de temps à autre une rondelle, un bout de filasse, jusqu’au jour où un Vorarbeiter hurlant l’emmène au bureau des ingénieurs du hall de finition : « Le commandant S. S. Heydrich est là et je n’en mène pas large. Heureusement que le Hallenvorarbeiter du hall 6 est là aussi et sert d’interprète. C’est Otto Hafner, dont je sais les liens avec la résistance au camp. Il me fait un clin d’œil d’encouragement et m’explique avec une sévérité feinte qu’une de mes tuyauteries a refusé de fonctionner sur le terrain. Des yeux cruels me sondent. J’ai du mal à garder mon sang-froid, mon existence est en jeu. Bien secondé par Otto, j’ai l’inspiration de dire que, tous les soirs, juste avant l’appel, je renferme soigneusement mes outils, et les tuyauteries à monter, dans ma caisse où se mêlent de la filasse, des rondelles et qu’il est possible qu’un corps étranger soit entré à mon insu dans un coude. Otto insiste en disant que je suis contrôlé par un civil et un Meister. Ces messieurs discutent technique entre eux et c’est gagné ! Mes jambes ne me portent plus. J’aurais bien besoin d’un bon cognac. Otto m’explique que je suis maintenant trop repéré et me fait affecter au hall 8, où je dois roder le palonnier et les pédales, douze heures durant. Travail de nuit exténuant. Je suis heureusement soutenu par Pinault et Sidobre, jusqu’à ce qu’on mette un moteur pour faire ce rodage. »
Otto Hafner, ingénieur de profession, le défenseur de Savary et de bien d’autres, est à un poste délicat, entre le marteau et l’enclume : « Je suis bien placé pour voir tout ce qui se passe au hall 6. Par exemple, deux civils du magasin des câbles, un contremaître et un chef d’équipe, avaient partagé leur casse-croûte avec mes camarades français. Quelque temps plus tard, le chef d’équipe est arrêté par la Gestapo et, au bout d’une semaine, il revient au même magasin… en détenu revêtu de zébré. Un autre civil l’avait dénoncé…
« Aussi je ne cause jamais de la situation politique avec les civils. Pour eux je suis un adversaire politique et les détenus français l’ennemi militaire. »
Dans de telles conditions, Otto Hafner ignore l’existence d’une organisation antinazie parmi les civils de Heinkel, mais il n’en participe pas moins à la lutte avec les Français : « Avec mes camarades français, nous avons repéré un poste de radio enfoui sous de la ferraille, dans l’atelier d’un contremaître civil, près du bureau de dessin… Nous passons plusieurs soirées à le réparer mais, hélas, les lampes ne marchent plus. Mes camarades fabriquent une fausse clef du magasin et, le soir, je prends trois des lampes d’un Kanzel (c’est le poste radio du 177) pour compléter notre appareil. Par prudence, nous n’écoutons la B. B. C. que de temps en temps et je remets ensuite les lampes en place au magasin… Malgré nos précautions, nous avons des moments pénibles, parce qu’après le bombardement d’avril 1944, la Gestapo de Berlin effectue une enquête. Elle soupçonne des détenus d’avoir radio-guidé les bombardiers en direction de l’usine par ondes courtes… Dans cette affaire, la Gestapo m’arrête et je subis un interrogatoire très dur à la Schreibstube mais l’enquête échoue faute de preuves, grâce au silence absolu des camarades français du bureau de dessin. »
Au hall 7 prend forme le centre de l’avion (le Mittelstück) dont la
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