Sachso
dimanche matin il n’y a que très peu de civils au travail…
« Nos deux camarades allemands avaient admirablement préparé leur coup, à notre insu, mais le fait de nous y enrôler disait assez leur confiance… »
Gaston Davoust voit aussi à l’œuvre des ouvriers allemands qui restent fidèles à leur idéal révolutionnaire : « Le contact a été quasiment intuitif avec Paul Wenn, rapide avec Wilhelm Lindemann, que Paul avait mis au parfum, plus lent avec Fox, à propos duquel Paul m’avait prévenu : “Il ne fait pas partie de notre groupe, car il vient de Poméranie et nous ne le connaissons pas assez, mais il semble bien ; à toi de juger.”
« Nous parlons surtout quand nous sommes d’équipe de nuit. Mes conversations avec Paul sont parmi mes plus grandes joies de militant, la confirmation que l’internationalisme prolétarien n’est pas une vaine formule. Wilhelm me confie qu’il ne peut avoir de tels entretiens qu’avec sa femme et au lit, à cause des enfants embrigadés dans les organisations de jeunesse nazies. Sur les deux cents ouvriers civils du hall 2, Paul dit qu’il y en a une vingtaine sur lesquels il peut compter, essentiellement des Berlinois qui viennent par le train. À Berlin, disent Paul et Wilhelm pour expliquer cette forte proportion, il n’y a pas de famille ouvrière qui n’ait à déplorer la mort, l’emprisonnement ou la détention dans un camp de concentration d’un ou plusieurs de ses membres.
« Pour tous les détenus de l’établi, Paul Wenn apporte une miche chaque semaine (marché noir ou faux tickets, il ne nous l’a jamais dit) et, pour quelques-uns, des militants dont il est sûr, comme Édouard Hait et moi, il donne la moitié de son casse-croûte, un peu de tabac, des journaux… Wilhelm Lindemann, membre de l’organisation clandestine antinazie, fait de même. Fox aussi, mais c’est le journal 12 Uhr qu’il ajoute au tabac sorti de sa boîte à mégots… »
Peut-être ce climat réconfortant n’est-il pas étranger à certaines imprudences du côté des Français et à une douloureuse affaire qui éclate en août 1943 (nous en reparlerons plus tard) ? Mais il aide après à remonter la pente avec courage et la manifestation du 11 novembre 1943 au hall 2 en est la preuve, rapportée par Alex Le Bihan : « L’arrêt de travail du 11 novembre 1943, minutieusement préparé, réussit pleinement. Les diverses organisations françaises et étrangères se sont mises d’accord. À 11 heures, Georges Roux enlève son béret et se met au garde-à-vous. Tout le hall s’arrête dans un silence impressionnant. L’étonnement des civils et des Vorarbeiter montre que le coup porte. Mon civil me demande ce que cela signifie et me fait comprendre que nous jouons un jeu dangereux, mais je n’ai pas à lui fournir d’explication, qu’il réfléchisse ! »
Au hall 3, il y a beaucoup de soudeurs. Pour leur travail très malsain ils reçoivent du lait destiné, en principe, à combattre les effets des vapeurs délétères qu’ils respirent. Mais les jeunes soudeurs français ne boivent pas tout. Ils en prélèvent volontairement pour les malades français du Revier, qui en reçoivent ainsi deux litres par jour !
André Leysenne soude à l’arc avec jet d’hydrogène. Au bout de quelques mois, il crache le sang mais continue : « Il s’agit de souder une grosse plaque sur l’épais longeron central de l’aile. Cette pièce posée en té sur le longeron doit d’abord être soudée “à cœur” puis rechargée sur les deux angles du té pour rendre l’ensemble plus résistant. Chaque pièce est poinçonnée au numéro du soudeur et elle est radiographiée au contrôle. Si on “oublie” le cordon de soudure à cœur c’est un simple collage sans résistance. Nous le faisons, selon les circonstances, et les camarades du contrôle les laissent filer comme des pièces bonnes. Il faudra un avion cassé en vol pour qu’une commission s’intéresse de plus près aux opérations… qui naturellement sont alors sans défaut. »
À un autre établi, Pierre Gouffault reste admiratif devant Pierre Cayrol, qui marque imperturbablement le K ( Kontrol ) sur toutes les pièces, correctes ou défectueuses ; devant l’art de Georges Lhostis qui transforme des limes en rasoirs ultra-performants ; devant la dextérité du peintre Pierre Petit qui prolonge sa « perruque » pendant un an : « Je crée des brassards
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