Sachso
l’affairement (souvent apparent) de la maîtrise civile, les hurlements et les coups des « verts » et des S. S., malgré des arrestations, l’énorme machine s’enraye après le bombardement d’avril 44 et la construction des He-177 doit être abandonnée. Tous les détenus, et les Français ne sont pas les derniers, retrouvent alors leur énergie. Car les quelque soixante carcasses de bombardiers en cours de montage ou d’aménagement et dont le manque d’organes essentiels rend impossible la finition, vont être découpées en rondelles, au chalumeau, pour récupérer les matériaux !
En désespoir de cause, les nazis aménagent sommairement l’usine pour le montage de chasseurs Focke-Wulf 190. Une nouvelle cabine de peinture, plus petite que pour les bombardiers, s’élève peu à peu en face du hall 8. Muté de ce hall au Baukommando, Roger Grandperret est dans l’équipe de construction : « Il nous faut hisser à la force des bras, par des gradins, la longue et lourde poutre maîtresse. Nos efforts épuisants sont scandés par le chœur des Vormanner et les coups de leurs gummis… Patatras ! Avec mes voisins russes, nous nous sommes compris du regard. La poutre vacille et chute de plusieurs mètres, se disloquant au sol. Au passage, j’ai le pied écrasé ; après la schlague, je suis bon pour le Revier de Sachso ! »
LES AIGUILLES VERTES DE L’ESPOIR
Devant la faillite à Heinkel, la Gestapo entend régler ses comptes, en particulier avec les nombreux Français si visiblement actifs. Ceux du hall 8 sont les plus visés, car, en bout de chaîne du He-177, on leur impute tout ce qui a pu être fait, y compris les malfaçons des halls précédents. André Bergeron est arrêté et incarcéré à Sachsenhausen, au block 38 d’abord, puis au block 58, avec une trentaine d’autres Français, du hall 8 pour la plupart. Les meilleurs des antifascistes allemands de Heinkel les rejoignent : Erich Boltze, Hein Külckens, Willy Emden, Walter Hilger. Mais, grâce au silence de tous, la direction française et les autres responsables de hall ou de block ne sont pas inquiétés. Le mal causé par un infâme mouchard du hall 8, le traître français Roumi, est provisoirement limité.
L’heure est néanmoins à la prudence. Après la mise en veilleuse de l’usine qui a suivi le bombardement d’avril, plusieurs transports quittent Heinkel, notamment en juillet, avec beaucoup de Français. Fernand Châtel est du nombre. D’autres jeunes le remplacent et font l’expérience de missions parfois cuisantes. Pierre Gouffault est dans ce cas : « Au début de mes nouvelles fonctions, Charles Désirat me dit : “Porte ce communiqué au responsable du hall 5.” Le hall est fermé. Je vais aux blocks 5a, 5b, 5c ; ils sont en cours de désinfection. Je me hasarde à pénétrer quand même dans l’un. Hélas, le premier à m’apercevoir est un Vorarbeiter qui me fend l’oreille d’un coup de trique et me vide avec perte et fracas ! Mon communiqué dans une paume crispée, l’autre main sur mon oreille saignante, je retourne dire à Charlot ce qui m’arrive. Histoire de me réconforter, il me répond sans se démonter : “Mon pauvre gars, c’est le métier qui rentre !” »
Malgré la répression de la Gestapo aux aguets, le 14 juillet 1944 est célébré dans tous les halls, comme en 1943. Cette fois, après le débarquement allié en Normandie, que des Français ont appris dès le 6 juin au matin en écoutant la radio d’un des derniers He-177 à sortir du hall 8, chacun arbore à sa boutonnière une petite touffe d’aiguilles vertes de pin. Le vert de l’espoir !
Les informations sont de plus en plus fiévreusement attendues. Charles Désirat est maintenant en liaison avec André Hallery pour le hall 8, André Hallery qui remplace André Bergeron : « Dans les waters du hall 7, j’explique à Hallery la situation sur les fronts, cartes made in B. M. K. à l’appui.
Un grand Schreiber à triangle rose nous interpelle et veut nous renvoyer au travail. Mais l’explication n’est pas terminée, nous nous énervons. Le braillard levant la main sur nous, je l’agrippe par les poignets et l’agenouille d’une secousse sur le dallage humide. Hallery doit s’éclipser en vitesse, il n’est pas dans son hall et risque le pire. Le préposé aux “lieux” arrive, brandissant son sceptre merdeux avec lequel il débouche les cuvettes. Les coups pleuvent.
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