Sachso
peut plus s’agir d’un cas prétendument isolé comme celui de Renaudet. Malgré l’habileté des saboteurs, la prudence des agents de liaison, l’action est devenue trop massive pour passer inaperçue des S. S. et de la Gestapo. Les plaintes de la Luftwaffe, recevant du matériel défectueux et énumérant les accidents survenus, s’accumulent. Le coulage, les disparitions de stocks, atteignent des proportions démesurées, le rendement est dérisoire. Enfin, à cette échelle, la conspiration est dépassée, tout le monde est dans le coup. Comme ils l’ont fait tant de fois en France pour porter les coups les plus terribles à la Résistance, les nazis ont recours à leur arme favorite, les mouchards. À Heinkel, leur créature n° 1 est un nommé Roumi, mais il n’a pas grand succès au début.
Marcel Roumi, trente-trois ans, matricule 57 839, est nommé d’emblée, en mars 1943, Vorarbeiter au hall 6. Cherchant des appuis, il se fourvoie en s’adressant à Fernand Aubert, un ancien de 1914-1918 dont l’air débonnaire le trompe : « “Marseillais, mais nous sommes voisins ! Je suis ingénieur et je travaillais au Centre d’essais en vol de Marignane, me dit Roumi. Ici on peut s’en tirer en donnant un coup de main aux Allemands, continue-t-il. Toi qui es qualifié et démerdard, tu peux m’aider et ça te rapportera.” Je lui réponds doucement : “Je suis ici détenu et ne peux être ni pour ni contre. J’espère aller jusqu’au bout en restant peinard.” Je l’évite par la suite et mets en garde mes camarades de résistance sur le danger qu’il représente. »
André Castets l’observe aussi avec méfiance : « Son bagage technique est certain. Son établi est à part. Il a accès au bureau de dessin du hall, où il établit des plans de petits outillages et d’amélioration de l’avion. » Jean Szymkiewicz confirme : « Roumi fait un rapport et le donne au chef civil du bureau d’étude. Celui-ci le refuse en disant qu’il doit être rédigé en allemand… Ce civil, qui est un ingénieur antinazi qui ne peut pas se dévoiler, est indigné qu’un Français fasse une telle chose ! Cherchant un traducteur, Roumi sollicite le colonel de Brodzki, affecté au contrôle, qui se récuse en prétendant ne pas connaître les termes techniques. Ce rapport, sur la base de procédés de fabrication Messier, propose des améliorations du lance-bombes et du train d’atterrissage. Un autre concerne l’élargissement du champ de tir de la mitrailleuse arrière. Enfin, Roumi avance des suggestions pour l’organisation du travail. »
Le pire est cependant son rôle de mouchard. C’est le Vorarbeiter « français » qui a témoigné en août 1943 contre Renaudet. C’est lui qui va être à l’origine de l’arrestation d’André Bergeron et de ses camarades du hall 8, où ses maîtres nazis l’ont muté pour cette sale besogne.
Jean Daubas (qui sera arrêté dans cette affaire), tout en se méfiant, ne peut faire grise mine à Roumi, son ancien voisin de lit à Compiègne, qui se veut cordial avec tous : « Un mois et demi avant l’arrestation de Bergeron, je suis en train de fumer un mégot aux waters quand Roumi me glisse à l’oreille : “Écoute, on est copains ; ça m’ennuierait qu’il t’arrive quelque chose… Tu ferais mieux de me dire ce qui se passe.” “Il ne se passe rien, absolument rien !” Roumi insiste, dépité de ma réponse. “Il t’arrivera un coup dur”, me dit-il.
« Aussi, quand je suis arrêté en août après d’autres copains du hall 8 : André Bergeron, André Quipourt, dit Bibi, Barette, dit Nimbus, un épicier de Chatou, j’ai la preuve que Roumi était au courant de tout ce qui allait arriver, puisqu’il m’en avait parlé un mois et demi avant. »
De fait, Roumi noircissait de nombreux rapports au hall 8 avec ce qu’il pouvait deviner, et au besoin inventer en ayant la quasi-certitude de tomber juste. Son mauvais coup accompli, on le fait quitter Heinkel et il est réintégré au grand camp. Louis Péarron l’aperçoit une fois à la Politische Abteilung : « D’après les secrétaires allemands, il dénoncerait des copains ! » À la libération, en mai 1945, Guyénot a la surprise de le revoir en tenue d’officier français. Jean Szymkiewicz, qui sera le principal témoin à charge à son procès, sait que Roumi a dérobé les papiers du lieutenant Mathis, du 2 e Bureau, tué au cours du
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