Sachso
long, je ne sais pas si ça vaut la peine. J’ai été arrêté pour un pneu de bicyclette acheté au marché noir et qui avait été volé aux Allemands. (Toute cette histoire avait été arrangée à l’avance.) Je n’étais pas un politique, ni un résistant.” Je vais jusqu’à dire que mon père était commandant de bateau et que, comme tous les marins, il n’aimait pas les Anglais !
« Quand je dis que je suis de Royan, ce S. S. parle aux autres et j’arrive à comprendre qu’il se charge de mon interrogatoire. Il me parle du petit train, du Sporting… puis il me demande : “Pour aller où, ce pneu ?” – “C’était pour aller à La Coubre, à vingt-deux kilomètres de Royan, où je travaillais pour les Allemands.”
« Ce gars connaissait La Coubre et me reparle de Royan, des Fraulein de Royan, du Casino, etc., des plaisirs de Royan, puis il reprend : “Connais-tu ce Bergeron ?” – “Bergeron, c’est un copain de travail comme un autre.” – “Pourtant, Bergeron,… c’est un meneur… Il a fait de la résistance au camp ?” – “J’ignore absolument tout de cela.”
« Je me défends avec une décontraction qui m’étonne. Je suis dans un état physique très diminué et la mort, dans cet état, ne m’impressionne plus. On ne pense plus à sa famille, on ne pense plus à rien, on n’a pas peur… Au bout de vingt minutes de ce petit jeu, il me demande si je n’avais pas été opéré de la tête étant jeune. “Si.” – “Où ?” – “Derrière l’oreille.” Il dit alors aux autres : “Ce n’est pas la peine de faire un rapport, il est ganz verrückt (complètement fou).” Il me dit de me lever et de partir. À la porte, il me sort d’un grand coup de pied au cul…
« Ainsi, parce que cette brute sanguinaire a eu du bon temps à Royan, il me sauve la mise. Mais, pour Léon Dupouy, le pauvre, il ressort au bout d’un long moment, la figure en sang, tabassé et tout le fourbi. Et moi, avec mes jambes qui maintenant se mettent à trembler par réaction, je dois presque le porter pour revenir au block 38. »
Cent soixante-cinq détenus restent groupés au block 58 depuis juillet. La plupart sont atrocement torturés, principalement les Allemands qui, pour les S. S., sont des traîtres à leur pays et les initiateurs du mouvement. Mais leur organisation est si fortement ancrée dans le camp qu’elle ne faiblit pas, pas plus que celles des Russes et des Français, qui sont aussi durement frappés par cette répression.
Les documents tombés aux mains des résistants et de l’armée soviétique qui a libéré Sachso prouvent abondamment que les rivalités entre les services nazis, Sécurité du Reich, Contrôle économique, contrôle des fabrications d’armements, Gestapo et Kripo… et les S. S. gardiens du camp – rivalités basées sur leur corruption, leur souci de se tirer de la défaite où va sombrer le nazisme – les conduisent à contrecarrer mutuellement leurs investigations. Les enquêtes s’entremêlent, celle qui concerne la Résistance avec celle qui concerne les trafics. Les S. S. de la direction du camp, compromis dans les deux cas, en arrivent à ménager les résistants qui savent et pourraient parler. Finalement, après un enchevêtrement d’interrogatoires et d’affreuses tortures menées par l’un ou l’autre clan, ils en arrivent à réduire au minimum des exécutions qui auraient pu être massives tant la résistance se révèle importante et efficace.
Solides dans la tourmente, les responsables clandestins tel Hans Seigewasser, Vorarbeiter de l’ Effektenkammer, constatent avec un secret et méprisant contentement les effets de la corruption sur les piliers du régime. Car, en plus des trafics dans les kommandos, les S. S. et les « verts » sont compromis ensemble dans d’énormes détournements à l’ Effektenkammer où sont enregistrés et stockés les objets de valeur trouvés sur les détenus, récupérés sur les cadavres ou pillés dans toute l’Europe occupée pour être remis aux dignitaires nazis ou au « trésor » des S. S.
Mais le Reichführer Himmler exige des têtes parmi les isolés du block 58. « Leur moral tient bon », écrit le Yougoslave Édouard Calic, journaliste arrêté depuis l’été 1942. « Ils nous font passer la consigne de ne rien entreprendre d’irréfléchi, car ils n’ont rien reconnu. La Gestapo passe aux interrogatoires renforcés… En septembre,
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