Sachso
L’état-major allemand projette d’envoyer des flottes de He-177 non seulement sur l’Angleterre mais aussi sur New York en mission « kamikaze » ! Heydrich, qui n’a pas encore une notion exacte des sabotages qui se commettent, ne veut pas qu’un trop grand éclat soit donné à l’affaire. Cela risquerait de lui valoir des critiques et peut-être des sanctions pour n’avoir pu empêcher la résistance des détenus de s’organiser. Que Renaudet soit un bouc émissaire volontaire arrange donc bien le commandant S. S. de Heinkel. S’il le fait torturer après sa tentative d’évasion, c’est autant pour décourager les autres détenus de l’imiter que pour se couvrir lui-même et aussi pour s’assurer qu’il ne reviendra pas sur ses déclarations quand il sera entre les mains des tortionnaires de la Gestapo. Le rapport qui accompagne Pompon à Sachso le présente comme un saboteur impulsif, sans but politique, à punir sévèrement et au besoin supprimer, mais sans trop de publicité.
De fait, il va subir pendant plus d’un an le dur régime de la S. K., la marche d’essai des chaussures militaires, sac au dos. Il gagne l’estime de tous, se lie d’une amitié fraternelle avec Bernard Méry qui témoigne encore :
« Nous sommes atterrés, un certain jeudi quand un Laüfer (coursier) de la Schreibstube vient chercher Pompon. C’est le jour fatidique où ceux qu’on appelle ainsi dans nos rangs sont pendus le soir, en musique, sur la place d’appel. Nous avons la gorge serrée, les larmes aux yeux, en continuant notre marche. Mais, au bout d’un temps interminable, Pompon revient en souriant prendre sa place dans le rang. “Régalez-vous, les copains”, dit-il en nous passant des casse-croûtes, “c’est notre camarade Frédo Rey, cuistot à Heinkel, qui me les a donnés à la Schreibstube en accord avec les “rouges” allemands qui m’ont fait appeler exprès !” Nous redressons le dos, reprenant à pleine voix notre chant d’espoir : “Ils l’ont dans le… Ah ! ah ! Aaah !” »
Le 15 novembre 1944, Pompon, avec Roland Rondeau et trois autres Français, partent de la S. K. de Sachsenhausen avec un transport principalement composé de Russes voués à l’extermination. Menace renforcée pour les cinq hommes qui portent, au milieu du dos, à la hauteur du cœur, le rond rouge et blanc entouré de noir des évadés à exécuter au moindre geste suspect. N’importe quel S. S. peut ainsi gagner facilement huit jours de permission par détenu abattu !
Le convoi arrive néanmoins sans trop de pertes au camp de Langensalza, un très mauvais kommando de Buchenwald, aussi meurtrier que la S. K. L’avance alliée les en déloge. Toujours groupés, ils partent, squelettes ambulants, vers le « petit camp » de Buchenwald. Renaudet y est reconnu par le docteur Lanzac, de Tarbes comme lui, qui va s’efforcer de le faire admettre avec ses compagnons au Revier. Mais il est trop tard, le canon tonne de plus en plus près et le commandant S. S. Pister veut liquider au moins les condamnés avant l’arrivée imminente des Américains. Le 7 avril, deux cents S. S., mitraillette pointée, appuyés par les mitrailleuses des miradors, pénètrent dans le petit camp, abattent à bout portant ceux qui tentent de leur résister, criblent de balles les baraques, assomment à coups de barres de fer. Ils font ainsi sortir du camp six mille hommes, dont Pompon et ses compagnons. À coups de crosse, les S. S. conduisent ce convoi de moribonds se soutenant les uns les autres à Weimar, où ils les embarquent pour Dachau.
Vers la fin du mois, les quelques survivants, dont les cinq Français de Sachso, tous atteints du typhus, arrivent au camp de Dachau, où ils sont de suite enfermés au block des contagieux. Ils délirent. Au matin du 29 avril, alors que les fusillades s’intensifient, annonçant l’arrivée d’un détachement de la 42 e division d’infanterie du général américain Linden, Roland Rondeau, écroulé le long du block, voit Renaudet, déjà inconscient, assis à l’arrière d’un charreton chargé de cadavres, disparaître entre deux baraques, roulant en direction du crématoire… Le long martyre de Pierre Renaudet, lentement assassiné durant vingt mois, prend fin au moment de la libération de Dachau.
En juillet-août 1944, la seconde affaire qui éclate à Heinkel est plus grave. À cette époque, la répression se généralise et s’aggrave. Il ne
Weitere Kostenlose Bücher