Sachso
savent-ils de quoi il retourne ? Non, me disent-ils. Nous n’augurons rien de bon de cette promenade qui nous mène directement vers les bureaux de la direction S. S. du camp. Pompon, qui est au bord de l’allée, vide ses poches dans les arbustes qui la bordent et, changeant de place avec lui, nous en faisons autant. Je me libère ainsi du communiqué que vient de me remettre l’agent de liaison de notre organisation. Je le mâche consciencieusement et crache la boulette. Ça va mieux ! Georges me dit : “Il doit y avoir des mouches.” Nous acquiesçons. Une longue attente commence devant les bureaux S. S., au garde-à-vous, surveillés d’assez loin par une sentinelle. Nous convenons d’un murmure de ne rien dire et de tout nier.
« Après vérification de nos tenues, le Rapportführer nous propulse énergiquement dans un bureau où siège le commandant S. S., flanqué d’un autre officier et d’un interprète également S. S. Dès nos identités vérifiées, les insultes commencent. “ Franzosenschweine ! Saboteurs !” nous dit le commandant, qui nous somme de dénoncer nos complices. C’est le silence. La cravache, de plus en plus nerveuse, m’arrive avec violence sur l’épaule. Les injures montent d’un ton, “Cochons ! Sales Français ! Bandits !” Deux heures après, avec quelques derniers coups dans les côtes, nous nous retrouvons dehors.
« Nous sommes au garde-à-vous, face au baraquement, à plusieurs mètres les uns des autres. Derrière chacun, un S. S., baïonnette au canon qui nous pique les reins au moindre mouvement. Renaudet demande au sien à aller aux cabinets. Le “ Nein !” du S. S. s’accompagne d’un coup de pointe. Nous ne bougeons pas jusqu’à l’appel du soir. Sur la place, nous sommes alignés, face aux détenus. Nous distinguons les visages anxieux de nos camarades. Après l’appel, nous sommes emmenés au Bunker, avec une couverture mais sans nourriture. C’est une sorte de cave voûtée servant de réserve à patates, avec une porte d’apparence peu solide et un soupirail d’aération. Des pommes de terre en état de décomposition avancée encombrent une partie du local. La pulpe fermentée rend le sol gluant, l’odeur est difficilement supportable. Nous nous groupons vers le soupirail, où l’air paraît plus respirable. Serrés les uns contre les autres, nous faisons le point. Il nous apparaît certain que nous avons été l’objet d’une ou plusieurs dénonciations, les questions du commandant le prouvent. Mais par qui ?
« Pompon propose de tenter l’évasion en forçant la porte et de franchir les barbelés électrifiés avec nos trois couvertures. Georges et moi, nous repoussons cette solution hâtive. En rayés, tondus, sans papiers, sans carte ni itinéraire, l’échec est certain. Georges révèle qu’il a une lame de rasoir dans la doublure de sa veste. Je suis contre la solution du suicide. Pompon dit que, si la suite devient insoutenable, on en reparlera. Et puis, il reste toujours la possibilité de se jeter sur les barbelés électrifiés. Nous nous sentons mieux après cette discussion et nous décidons de dormir.
« Nos gardes nous réveillent à quatre heures, nous emmènent aux lavabos puis à la place d’appel, toujours face à l’ensemble des détenus. Interdiction absolue de parler. Georges, qui murmure un mot à Pompon, est durement frappé en pleine face par un S. S. Après, c’est de nouveau la station debout devant le bureau des S. S., baïonnette dans les reins. Station interminable, la fatigue nous fait vaciller, la baïonnette nous larde, la faim nous tiraille…
« L’après-midi, nouvelle comparution devant le commandant qui dit d’abord à Georges : “Vous êtes monsieur Georges Roux, secrétaire général du syndicat du Métro.” Mais, avant que notre camarade ait le temps de répondre, commencent les injures, les coups. Il nous somme à nouveau de dire tout sur l’organisation et le sabotage. Il accuse Pompon personnellement de détruire les outils, le matériel. Il en a les preuves ! Chaque question, chaque accusation est ponctuée de coups. Nous nions toujours. Excédé, il nous renvoie à notre station debout et à nos trois S. S.
« Nous ne sommes plus interrogés mais, quatre jours durant, nous nous retrouvons là, d’un appel à l’autre, immobiles, baïonnette dans les reins, avec des séances de station accroupie qui augmentent notre fatigue. Le soir, c’est le
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