Sachso
décamper vers l’ouest, car il y a toujours des colonnes allemandes dans le secteur.
« Notre groupe a récupéré des armes abandonnées. Nous sommes bien décidés à les utiliser, si besoin est, pour nous procurer un moyen de transport. Ça ne tarde pas. Une voiture apparaît sur la route. Nous la forçons à s’arrêter. Le chauffeur fait mine de résister mais hésite devant notre air résolu. L’officier allemand qui est dans l’auto, descend, fataliste.
« Chacun s’installe où il peut : à l’intérieur, sur le toit, sur le capot. Nous parcourons quelques kilomètres quand soudain quelqu’un crie : “On a oublié Mancini.” Il faut faire demi-tour. Heureusement Mancini est vite retrouvé et chargé. La voiture repart et roule jusqu’à ce qu’elle tombe en panne.
« Notre groupe avance de nouveau à pied. On se guide sur le soleil pour aller vers l’ouest. Pas de difficultés pour le ravitaillement…
« À la tombée de la nuit, nous tambourinons à la porte d’une villa. Un Allemand ouvre et murmure : “Chut ! taisez-vous ! Un officier américain dort là-haut !” Notre groupe de Marseillais apprend ainsi qu’il vient de retrouver la liberté !
« L’officier américain, réveillé par le tapage, descend l’escalier et dit : “Il y a, dans le village, un officier gaulliste, un Français qui sert d’officier de liaison… Allez à sa ferme !” C’est ce que nous faisons.
« Le lendemain, nous sommes fin prêts pour notre dernière marche. Elle nous conduit à Haguenow, où un centre de regroupement occupe les casernes d’un terrain d’aviation de la Luftwaffe. Recensement, déclaration d’identité et, surprise pour nous autres déportés, épouillage avec le D. D. T., une poudre que nous découvrons… Mais pas d’avions pour nous. C’est en camions G. M. C. que nous quittons la zone américaine pour la zone anglaise, près de la frontière hollandaise. Là, nous dormons dans une église, qui a été bombardée. Je suis moi-même couché aux pieds de saint Joseph.
« Le trajet se poursuit en train, au milieu d’Anglais que l’on rapatrie. À Bruxelles, les dames de la Croix-Rouge nous ravitaillent, puis un autre train nous emmène vers Arras, Paris… »
DURE ATTENTE POUR LES LIBÉRÉS
Moins éprouvés que d’autres par la « marche de la mort », des déportés français ne veulent pas rester un jour de plus sur cette terre de détresse. Quand André Leysenne franchit à son tour le pont à l’entrée de Schwerin, et que les soldats anglo-saxons veulent le diriger vers le camp de prisonniers de guerre, il refuse tout net avec ses compagnons : « Nous leur disons que nous voulons rentrer chez nous tout de suite, par nos propres moyens.
« Avec une voiture récupérée, nous partons vers Hamburg, mais des Anglais rencontrés en route ne s’embarrassent pas avec nous. Ils confisquent notre auto et nous mettent dans un camp avec d’autres déportés, des P. G. et des S. T. O. Des camions nous emmènent ensuite à Dusseldorf, où nous faisons connaissance avec un autre camp. Les Américains nous prennent alors en charge et, par Remingen, nous arrivons à liège, d’où un train nous ramène à Paris. »
Mais la plupart des rescapés s’arrêtent à Schwerin qui prend des allures de « Cour des Miracles ». Les premiers arrivants sont regroupés en ville même, à l’Arsenal, les suivants à la périphérie, dans la caserne Adolf-Hitler où Jacques Wattebled passe sa première nuit à l’abri : « Épuisé, malade, les pieds en sang, j’erre d’abord en vain dans les chambrées et couloirs archicombles. Par chance, je rencontre Bernard Méry, qui était dans mon groupe au départ de la marche avec Édouard Axelrad, Pierre Birling, André Faucillon, André Besson, etc. Il est lui-même bien mal en point mais il me cède sa place et va coucher à la belle étoile. »
L’éloignement de la caserne Adolf-Hitler oblige ses pensionnaires à faire plusieurs kilomètres chaque jour pour rapporter quelque ravitaillement de Schwerin. Alex Le Bihan fait une fois le trajet avec un de ses camarades, Caulet, un épicier d’Ussel : « Il faut nous reposer souvent. Caulet a besoin de reprendre son souffle. Je le sens qui peine terriblement mais je ne sais pas encore que le malheureux va mourir d’épuisement peu après… Les uns et les autres, nous ne nous rendons pas vraiment compte de notre état. Livrés à nous-mêmes,
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