Sachso
remettre en état de marche et que nous abandonnons au poste-frontière avant Schwerin, pour monter dans les G. M. C. de l’armée américaine. »
Le 3 mai entre au château de Frauenmark Charles Désirat, qui s’est échappé de sa colonne avec plusieurs camarades deux jours avant : « Avec Léon Depollier, Léo Agogué, Clément Jacquiot, Jean Szymkiewicz, nous traînons à tour de rôle Roger Gruss. À bout de forces il nous invective, nous ordonne de le laisser mourir là, mais nous ne le lâchons pas. Avec Raphaël Horlait, il est de notre petit groupe qui s’évade le matin du 1 er mai.
« Profitant d’une alerte et de ce que les S. S. observent craintivement un chasseur soviétique qui nous survole à basse altitude, nous nous enfilons dans une cour de ferme. Nous nous cachons avec la complicité de réfugiés de Silésie et nous sommes ravitaillés par une jeune Ostarbeiterin russe qui partira plus tard avec le “patron” de la ferme, un sergent français du Havre. Ce dernier couche avec la patronne, sa fille et la jeune Russe en l’absence du propriétaire, un officier S. S. comme nous le montreront des photos trouvées dans un tiroir du buffet de la cuisine.
« La première nuit passée à l’abri, nous sommes obligés de décamper pour nous réfugier plus loin, dans une vieille porcherie. La jeune Russe nous a avertis que des S. S. “nettoyaient” les fermes. Le danger éloigné, nous revenons en force à la maison avec des déportés russes échappés d’une autre colonne. Nous réclamons à manger, mais le patron “auxiliaire” défend la ferme comme son bien propre. Il nous fait un prêche sur la honte du pillage. Passe un éclaireur de l’armée rouge à qui il renouvelle son boniment. Le soldat soviétique l’étend d’une gifle magistrale et s’affaire à bon escient. De sous un matelas il tire des œufs et un jambon, d’un tas de cendres il extrait des saucisses. Il nous donne tout et nous explique qu’il ne faut pas avoir peur de demander, de prendre si on nous refuse et de faire appel aux militaires soviétiques s’il y a trop de difficultés. Après quoi il repart sur le vélo de la patronne qui clame : “ Mein schönstes Fahrrad !” (Mon plus beau vélo.).
« Le lendemain, un autre éclaireur à la recherche des S. S. nous demande si nous aimons le cheval. D’une seule balle il en abat un à nos pieds. Nous en coupons aussitôt un gros morceau, provision de route pour rejoindre nos camarades. En chemin, nous croisons un officier soviétique à cheval qui escorte quelques centaines de prisonniers de la Wehrmacht. Voyant nos piteuses galoches il fait se déchausser des officiers allemands et nous remet leurs bottes. Sur leurs chaussettes, les arrogants de la veille sont moins fiers. Quant à nous, nous entrons peu après au château de Frauenmark où nous retrouvons Pierre Rolland-Lévy, Roger Murer et une cinquantaine de camarades. »
Après avoir perdu ses S. S. dans les dernières heures, la colonne d’André Ruelland échoue à son tour le 5 mai au château de Frauenmark : « Depuis le début, je marche avec Gustave Hardy et André Thomas, qui sont de Saintes, comme moi. Le 30 avril au matin, lorsqu’il faut repartir de Halenbeck situé à dix kilomètres à l’ouest du bois de Below, Gustave, qui est malade depuis huit jours, ne peut même plus se lever. L’officier commandant la colonne ayant demandé s’il y avait des malades, Gustave nous supplie de l’aider à se présenter devant lui. D’autres sont dans le même cas. Que va-t-il advenir d’eux ? Nous suivons avec inquiétude la discussion entre l’officier et le bourgmestre de l’endroit. Finalement, la décision est prise de les laisser sur place et nous saurons plus tard que Gustave Hardy a bien été rapatrié par avion après l’armistice, mais qu’il est décédé au bout de quelques jours dans un hôpital parisien.
« Quant à nous, après cinq jours de marche, nous sommes en bien mauvais état en arrivant au château de Frauenmark. Le 11 mai, André Thomas, l’un des plus touchés, succombe à une pneumonie. Une fosse est creusée dans une pelouse du parc. Le corps est enroulé dans une couverture maintenue avec des épingles de sûreté. Tous ses camarades sont là pour l’inhumer. Nous nous recueillons longtemps. Des fleurs sont déposées et une croix plantée sur sa tombe avec une boîte métallique portant un carton avec l’inscription : “Ici repose
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