Sachso
nous mangeons beaucoup trop et mal pour les malades que nous sommes. Ainsi Georges Roux a rejoint notre collectif avec quarante kilos de beurre : nous en mangeons bien chacun une demi-livre par jour ! Nos organismes ont un tel besoin de tout : matières grasses, sucres, féculents qu’on ne se rend pas compte de nos excès. Toujours ce maudit estomac qui réclame ! »
René Bourdon, avec ses camarades de la caserne Adolf-Hitler, doit aussi faire preuve d’initiative : « Les premiers échelons américains n’ont rien pour nous, ils maintiennent l’ordre. C’est là que l’argent récupéré nous rend service pour acheter du ravitaillement.
« En revenant de faire nos courses, Marcel Riquier me paraît bien touché par la dysenterie. Je ne sais combien de fois il doit, sur le chemin, poser culotte au hasard de l’environnement, et avec quelle fatigue !
« Nos explorations dans la caserne nous permettent de trouver des sacs de pommes de terre déshydratées et de découvrir des douches : quelle volupté !
« Ce sont des civils allemands réquisitionnés, juste retour des choses, qui sont chargés des corvées de nettoyage. Nous demeurons une dizaine de jours en ces lieux, où Jacquiot a fait une arrivée triomphale dans une voiture à cheval…
« Enfin pris en compte par les Alliés, des camions anglais, un train puis des camions américains nous transportent jusqu’à la frontière hollandaise, à Kevelaert, d’où un train normal nous conduit à Lille et à Paris. »
Dans ce vaste océan de misère et de promiscuité qu’est devenu Schwerin, des îlots privilégiés subsistent. C’est dans l’un d’eux qu’Alphonse Lavieville trouve refuge avec trois de ses camarades belges du kommando Heinkel : le colonel Robert Lentz, le commissaire du parquet d’Anvers Felix Rooms et Albert Hanset. Ils ont été libérés le 4 mai, à une dizaine de kilomètres de Schwerin, par des Russes qui leur fournissent deux chevaux et un fourgon (modèle réglementaire de l’armée française !) pour continuer la route. Alphonse Lavieville est frappé par le nombre de cadavres de déportés qu’il trouve sur son chemin : « Après trois kilomètres environ, nous sommes arrêtés à un pont. Un sous-officier français, le premier que nous voyons, nous ouvre la barrière et nous pénétrons dans la zone occupée par les Américains. Aussitôt les M. P. (Military Police) nous font garer la charrette et nous ordonnent d’aller à pied. Pendant que nous nous interrogeons sur les décisions à prendre, deux voitures s’immobilisent près de nous. Un sous-officier russe et un officier américain en descendent, se saluent et se séparent. Robert Lentz saute sur l’occasion. Il se présente, avec son grade dans l’armée belge, à l’officier américain, un capitaine qui se trouve être l’aide de camp du général commandant la division. Du coup, nous voici à Schwerin en auto…
« Le capitaine veut nous faire habiller décemment mais tous les magasins sont fermés. Finalement, il nous arrête devant une belle maison, la fait ouvrir, dit deux mots aux occupants et se retourne vers nous : “Messieurs, cette maison est à vous. Installez-vous. Reposez-vous. Essayez de vous habiller. Je reviendrai demain.” Mais nous ne le reverrons pas.
« Notre logeur est Herr Lorenz. Il nous reçoit correctement. Nous vivons surtout de ce que mes camarades ont pu récupérer auprès des P. G. belges ou à l’Arsenal. Nous recevons une fois un colis de la Croix-Rouge et nous touchons chacun 100 marks et des papiers provisoires d’identité. Un ancien ministre belge, M. Merlot, se joint à notre groupe de quatre, mais nos démarches pour être rapatriés n’avancent pas.
« Un matin, je vais à la caserne Adolf-Hitler où les déportés sont rassemblés en instance de départ pour Haguenow. Il semble bien qu’ici c’est encore la vie de camp. Quand j’arrive vers dix heures, le désordre est indescriptible. Tout le monde est massé dans la cour avec ses bagages. Le départ est annoncé pour midi. Mais vers onze heures il est annulé et chacun rentre.
« Je vois Marcel Riquier et Jacques Gipouloux, qui semblent encore épuisés, Louis Mouleron, qui porte un brassard marqué “Direction”. J’assiste à l’arrestation de “Tarzan”, chef du block 1 ou 2 à Heinkel. Je suis heureux de revoir Albert Besançon et René Bourdon, qui m’a l’air fatigué, ne le dit pas, et se dévoue toujours
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