Sachso
nouveau.
« Place de l’Opéra, je serre la main de soldats français, américains aussi. Je réussis à leur soutirer un pantalon et une chemise kaki que j’enfile sur mes affaires.
« À midi, nous rentrons au Perreux déjeuner, en face de l’île d’Amour, dans un restaurant dont la chambre froide conserve un agneau entier ramené de Seine-et-Marne pour mes dix-neuf ans que je dois fêter dans six jours, le 31 août.
« Vers 15 heures, nous décidons de partir à Neuilly-Plaisance : Georges Colson, Gilbert Laithier et moi. Nous avons une 202 Peugeot ; son seul défaut : elle cale au ralenti, et il faut redémarrer à la manivelle. Pour trois, nous ne disposons que d’un 7,65 en bon état, ce qui est plutôt rare, et de quelques munitions contenues dans une boîte de poudre de riz que je glisse dans ma poche. D’un geste routinier, je cache le pistolet sous le tapis de la voiture, en dessous d’un siège, et nous démarrons après avoir mis des brassards de la Croix-Rouge fabriqués et fournis par Défense de la France.
« Il nous faut traverser la Nationale 34. Nous la rejoignons par des petites rues, la dernière étant la rue d’Avron. Là, nous nous retrouvons nez à nez avec des soldats allemands et des Feldgendarmes.
« Une mitrailleuse lourde est braquée sur nous. Georges Colson parle un peu l’allemand, il explique en montrant nos brassards : “Mission… Secours…” Ça semble marcher, les Allemands nous disent de partir, mais le moteur cale. Gilbert Laithier descend manivelle à la main. Un soldat près de la portière se baisse, voit une bosse sous le siège, soulève le tapis. La suite ? Des cris, des coups, la fouille. Un Allemand sort une balle de ma boîte, me la montre : “Pansement ?” J’avais, hélas, repris mes vrais papiers d’identité : “Leclerc ?”, une gifle magistrale. Heureusement, ils ne trouvent pas ma carte du M. L. N.
« Ils doivent croire que nous ne sommes pas seuls. Ils se mettent à tirer partout, à balancer des grenades. Une maison commence à flamber. Un homme, porteur lui aussi d’un brassard de la Croix-Rouge, sort de dessous un porche, un peu plus haut. Il est abattu. Ils veulent nous fusiller. Les Feldgendarmes s’y opposent et nous font descendre la Nationale 34 vers Neuilly-sur-Marne. Des fuyards allemands nous dépassent, nous insultent, nous crachent dessus, nous frappent.
« Nous arrivons devant une grande bâtisse, le château. On nous aligne au bas du perron. Un peloton survient. “Garde à vous ! En joue !” Un hurlement, un contre-ordre : ce n’est pas encore pour tout de suite.
« Enfermés dans une pièce, nous devons rester les bras en l’air ; si nous les baissons, deux soldats cognent. Puis surgissent des S. S., qui nous entraînent dans une autre salle, où nous ne restons pas longtemps seuls. Des pompiers grossissent notre groupe. Ils sont de la caserne de Fontenay-sous-Bois, venus pour éteindre les incendies de La Maltournée, mais avec les fatidiques brassards de la Croix-Rouge. Un blessé est achevé sur place, un autre, qui veut parlementer, est abattu.
« Le président de la Croix-Rouge veut apporter son concours. Il est muni lui aussi de son brassard : abattu ! C’était le colonel Buttault. Abattus encore le F. T. P. Wirtz, arrêté les armes à la main et, au petit matin, un employé de l’usine à gaz. Dans le parc, derrière la maison, les S. S. enfouissent des morts. Georges, Gilbert et moi prenons peur. J’enlève ma chemise et mon pantalon kaki et les dissimule dans une cheminée. Au-dessus, il y a une glace : je glisse derrière ma carte du M. L. N. Il était temps ! Les portes s’ouvrent, les S. S. nous dévisagent, passent et repassent devant nous. Georges me dit : “Ils cherchent l’équipe avec un gars en kaki, ils veulent les fusiller pour l’exemple.” »
« On nous fait sortir, des miliciens sont là sans doute pour prendre la relève. Mais non, ce sont des résistants et je reconnais un copain de Livry, mon pays natal. Regroupés dans la région d’Offry-Oissery, en Seine-et-Marne, ils avaient découvert un dépôt d’uniformes de la Milice et, ainsi vêtus, avaient attaqué des Panzers, faisant 27 prisonniers, dont un général. Mais il y avait eu une contre-offensive des Allemands et une terrible répression…
« Nous montons tous dans des camions, où l’on nous fait allonger à plat ventre. Metz, Neue-Bremm notre premier camp, puis, le
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