Sachso
9 000 Français sont passés au camp.
DANS LES WAGONS DE LA DÉPORTATION
Tout est relatif. Pour certains qui sortent des cellules des condamnés à mort, des chambres de torture et des mitards, Compiègne est déjà une espèce de « retour à la normale » et le départ en Allemagne ne semble qu’un purgatoire à endurer. Même ceux qui connaissent l’existence et la sinistre réputation des camps de concentration nazis n’imaginent pas que c’est la descente aux enfers qui commence.
Un appel sur la place de Compiègne et les « partants » sont aussitôt isolés du reste du camp. Enfermés dans les anciennes écuries de Royallieu, ils sont fouillés une fois de plus : couteaux, rasoirs, stylos, crayons, feuilles de papier sont particulièrement recherchés, mais vêtements, vivres, alliances et objets en or sont laissés. Des reçus sont même délivrés pour l’argent pris ; valises, et musettes sont autorisées pour emporter avec soi ses précieuses affaires ; ce qui rassure certains, car on ignore encore que tout cela n’est emporté que pour être confisqué à l’arrivée par les S. S. de Sachsenhausen.
Quelques détails cependant alertent d’autres détenus. Gaston Bernard, qui se remet difficilement d’une congestion pulmonaire, est à l’infirmerie avec d’autres malades : l’ancien sous-préfet du Front populaire André Ribard, Henri Monteux, artiste dramatique, un religieux père blanc au Maroc, l’abbé Jean, grand mutilé et trépané de la guerre 1914-1918, etc. Ils sont d’abord déclarés « nicht gut » par le médecin, « pas en état » pour partir en janvier 1943. Mais ils sont du convoi du lendemain…
En rangs par cinq, les cortèges sortent du camp, encadrés de gardiens armés, pour traverser la ville et gagner la gare à pied. Au dernier moment, chacun reçoit une boule de pain, un morceau de saucisson ; parfois, un sachet de la Croix-Rouge avec sucre, chocolat, biscuits, fromage, est distribué en supplément.
Quelle que soit l’heure, il y a toujours du monde à la sortie du camp et dans les rues. En général, la date et l’heure des départs parviennent à être connues des internés et sont communiquées au dehors.
Anonyme dans le convoi du 23 janvier 1943, le docteur Marcel Leboucher, de Caen, est comme tous frappé par cette présence : « Sur notre passage une foule très dense se presse : certaines femmes pleurent et bien des gens nous encouragent.
« Nous disons aux unes : “Ne t’en fais pas”, aux autres : “Tenez bon, vous qui restez !” »
Le matin du 28 avril 1943, Robert Franqueville, de Paris, le note également. Il fait partie de ce qui sera le convoi des 64 000. Ils sont à peu près 1 200, dont une centaine de femmes. Il marche en queue de colonne, bien placé pour voir tout ce qui se passe :
« Aux abords du stalag une foule de parents et d’amis essaient dans la multitude du troupeau de reconnaître celui ou celle pour qui, désormais, ils se tourmenteront davantage.
« Une femme reconnaît son mari, court comme une folle à côté de lui. Le garde le plus proche accourt aussitôt et arrache la pauvre créature des bras de l’homme qui, accroché à elle, la supplie de s’écarter. Non ? L’Allemand, de la crosse de son fusil, frappe la femme si fort qu’elle va s’aplatir au pied du mur. Des gens l’emportent dans leurs bras…
« Un de nos camarades, prévoyant, a griffonné avant le départ quelques mots à l’adresse de sa mère qu’il sait à Compiègne ce jour-là. L’apercevant dans la foule il jette négligemment le petit billet devant elle et passe sans remarquer qu’un Allemand suit chacun de ses gestes. L’Allemand laisse la pauvre femme se baisser, arrive derrière elle, pose sa grosse botte sur le carré de papier à quelques centimètres de ses doigts, met le billet dans sa poche, rattrape le garçon et lui assène sur la tête un coup qui le fait tituber… »
Ces scènes se renouvellent à tous les départs ; se répètent aussi chaque fois les chants repris en chœur par les prisonniers, chants qui sont autant de défis lancés à la face de l’occupant, de messages de confiance pour ceux qui restent et de raisons d’espérer pour ceux qui partent. Réagir ensemble, c’est ce qui compte. Voilà pourquoi, le 23 janvier 1943, sur la place d’appel de Compiègne, Marcel Naime n’est pas le dernier à reprendre « La Marseillaise » jaillie d’abord du groupe des
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