Sachso
seul grand camp à connaître à la fin de la guerre une « marche de la mort » entamée par trente mille hommes et femmes, qui laissent derrière eux des chapelets d’agonisants achevés d’une balle dans la nuque en présence de délégués impuissants de la Croix-Rouge internationale.
Enfin, Oranienburg-Sachsenhausen est le seul camp de concentration que les déportés français ont baptisé d’un diminutif : « Sachso ». Notre souhait ardent est qu’à lire ces pages on comprenne pourquoi.
Sachso, face à Sachsenhausen, c’est l’homme face à la bête, la solidarité matérielle et morale contre le système S. S. d’anéantissement des détenus. Sachso, face à Sachsenhausen, c’est la résistance face au nazisme, la vie finalement plus forte que la mort. Sachso, c’est le défi des déportés au Sachsenhausen de leurs bourreaux.
« L’esprit de Sachso » lie indissolublement les anciens du camp depuis les épreuves vécues ensemble. Cet esprit de Sachso n’avait jusqu’alors guère franchi le cercle limité de notre Amicale pour diverses raisons : difficulté presque insurmontable chez beaucoup de parler de soi aux autres ; peur de réveiller des cauchemars qui nous hantent ; soucis de la réadaptation au retour d’Allemagne, puis de la réinsertion dans la vie familiale, sociale, professionnelle ; séquelles cycliques des maladies à surmonter…
Mais, maintenant que nos rangs déjà décimés continuent à s’éclaircir inexorablement, que les sursitaires arrivés à l’âge de la retraite ont pu rassembler et écrire leurs souvenirs, nous songeons plus fort encore qu’avant à l’avenir. À l’avenir vers lequel nous avons eu toujours les yeux tournés, même aux pires moments.
Nous voudrions que la petite flamme de l’esprit de Sachso ne s’éteigne pas, qu’elle témoigne contre l’oubli et pour le souvenir de nos camarades disparus, qu’elle indique le chemin de la vigilance et de l’union nécessaires pour empêcher le retour d’un passé abhorré. Nous voudrions qu’elle brille avec toutes les autres qui, en France et dans le monde symbolisent la volonté de dignité, de justice, de progrès des hommes, le désir de liberté, d’indépendance et de paix des peuples.
Par ce livre, nous vous la confions.
L’Amicale des anciens déportés et familles de disparus d’Oranienburg-Sachsenhausen et ses kommandos
CHAPITRE PREMIER
DEUX NOMS, UN CAMP
Oranienburg (selon l’orthographe allemande), Oranienbourg (selon la transcription française), Sachsenhausen, ou bien encore Oranienburg-Sachsenhausen, désignent le même camp de concentration nazi que les anciens déportés dénomment plus brièvement Sachso.
Oranienburg est une ville de la grande banlieue de Berlin, à trente kilomètres au nord, dans les sables et les pins du pays plat de Brandebourg où miroitent de nombreux lacs et étangs. Bâtie sur la Havel, un affluent de l’Elbe, elle s’appelait autrefois Boetsow. En 1665, une princesse de la maison d’Orange y fonde un orphelinat et donne son nom à la cité. Les princes d’Orange y font aussi élever un château de style Renaissance hollandaise qui sera longtemps un but de visite pour les Berlinois allant se promener en forêt, se baigner ou canoter sur les lacs de Leibniz ou de Wandlitz.
Avec le régime hitlérien, Oranienburg acquiert une tout autre réputation. C’est là qu’en mars 1933, dans une brasserie désaffectée, est ouvert un des premiers camps où les fascistes qui viennent d’accéder au pouvoir enferment leurs adversaires politiques. Il fonctionne jusqu’en 1935 sous la garde des S. A. Un an plus tard, à Sachsenhausen, quartier extérieur de la ville, commence la construction d’un nouveau camp beaucoup plus grand, un « camp-modèle », placé sous l’autorité des S. S.
Les S. A., les S. S., les camps ! Les rouages de la machine nazie s’engrènent inexorablement dès que le président Hindenburg remet le pouvoir à Hitler en le nommant chancelier du Reich le 30 janvier 1933. Des élections doivent avoir lieu le 5 mars suivant. Le parti national-socialiste de Hitler, le parti nazi et ses soutiens les préparent en conséquence. Le 20 février, Goering réunit vingt-cinq des plus gros industriels allemands qui, sous l’égide du docteur Schacht, financent la campagne des hitlériens. Dans le nombre, il y a Krupp von Bohlen, Voegler des aciéries Vereinigte Stahlwerke, Scnnitzler et Basch de
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