Sachso
Bar-le-Duc… Chaque tour de roue rapproche de l’Allemagne et diminue les chances d’évasion. Car la question est à l’ordre du jour aussitôt dans tous les wagons et elle suscite de vives discussions.
Pasdeloup, avec un couteau dissimulé à la fouille, tente d’attaquer la paroi de bois de son wagon :
« Dès que j’arrache les premiers copeaux, certains commencent à crier que je vais les faire fusiller. Une bagarre menace. Si je continue, la peur qui étreint les quatre cinquièmes de mes compagnons va les conduire à me lyncher. J’abandonne… Plus tard, au camp, Clément Laborde me dira : “Si j’avais su où on allait, je t’aurais aidé… Peut-être aurions-nous réussi et évité nos souffrances actuelles.” »
Autre convoi, autre wagon. Les deux Alsaciens, Antoine Blelly et Armand Scheibel, unissent leurs efforts. Ils ont un couteau et creusent le plancher malgré les reproches, malgré les coups que certains leur portent. Mais ils prennent du retard. Quand ils passent à Metz, leur trou n’est pas assez grand. C’est d’un autre wagon que des prisonniers réussissent à s’échapper. Jochem, un camarade de Blelly et Scheibel, arrêté avec eux à Amélie-les-Bains, est un des évadés. Il ne portera pas, lui, un numéro 64 000, car, pour ses deux amis, c’est fini. Le train stoppe, est fouillé. Ils jettent leur couteau au fond de la tinette…
Dans le dernier convoi de France qui rejoint Sachsenhausen — le train de Loos du 1 er septembre 1944 –, les controverses sont aussi violentes. En particulier dans le wagon de Marcel Houdart, où ils sont quatre-vingt-dix à suffoquer dans la poussière du ciment précédemment transporté : « Un groupe s’active devant la porte, des jeunes pour la plupart. L’un d’eux, André Pigache, très mince, réussit à se glisser entre les barreaux du “volet de douane”. Retenu par les pieds, la tête en bas, il parvient à dégager le loquet de la porte fixé par du gros fil de fer. Ça y est ! La porte glisse…
On la referme aussitôt.
« Les discussions s’engagent. Tant que les tentatives d’ouverture de la porte n’avaient rien donné, personne n’avait réagi. À présent, il y a des remous. Trois tendances s’affrontent. Les indifférents, démoralisés, craintifs, trop abattus ou trop vieux ; les opposants, comme ce chef de groupe “retourné” par la torture et déclarant qu’il faut payer les “erreurs commises”, ou ces autres refusant tout risque “parce que les Alliés sont si prêts et la victoire si proche” ; enfin, une douzaine résolus à sauter, parmi lesquels émergent la haute stature et les cheveux blancs de Marceau Volpoët. Ses poignets sont profondément entaillés. La Gestapo l’a pendu des heures durant par ses menottes.
« Des bourrades sont échangées… On se bouscule. J’entends Rousseau déclarer qu’il préfère risquer la mort en sautant plutôt que de retourner en Allemagne, où il est déjà allé…
« Un ralentissement dans une courbe et le premier groupe saute dans l’ordre : Rousseau, Barrois, Druon, Pigache, et puis Holuigué, retardé, qui doit attendre qu’un pont soit franchi.
« Maintenant, le deuxième groupe qui a “protégé” l’évasion doit faire face aux opposants plus nombreux qui referment la porte et forment barrage à toute nouvelle fuite. Des coups sont échangés. Une occasion se présentera-t-elle plus loin ? Nous l’espérons. Hélas, quelque temps plus tard, des rafales de mitraillette crépitent, le train s’immobilise, les S. S. contrôlent. Ils aperçoivent notre porte avec son loquet déverrouillé. Ils montent, nous frappent, hurlent des menaces. Mais, constatant que le wagon est toujours bien bourré (cinq évadés sur quatre-vingt-dix ne laissent pas un grand vide) ils referment et bloquent le loquet à coups de marteau. C’en est terminé de nos tentatives. Nous n’avons plus un Pigache fluet pour repasser par la lucarne…
« Que sont devenus les fuyards ? Nous ne l’apprendrons qu’à notre retour, où nous nous compterons 130 seulement sur les 1 250 du train de Loos, quatre seulement sur les 90 de mon wagon. Le 7 septembre 1944, quand nous arrivions à Sachsenhausen, ils rentraient chez eux à Barlin et Hersin… »
Entre les « pour » et les « contre », l’affrontement est également vif dans le wagon de Jean Mélai. Il est avec les « pour », qui se regroupent : « On entame le bois du plancher.
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