Sachso
l’étude et la sortie d’un prototype de véhicule militaire, les détenus désignés sont en priorité des spécialistes.
En règle générale, les S. S. qui les surveillent sont rarement des techniciens ou ouvriers professionnels. Ayant besoin du travail des détenus spécialistes, leur comportement est parfois fort différent de celui des gardiens du camp qui sont avant tout des tortionnaires. Louis Péarron en fait l’expérience au printemps 1943.
Versé à K. W. A. après son arrivée fin janvier 1943 à Sachsenhausen, il va de surprise en surprise. Tout d’abord il reconnaît dans l’un des anciens du kommando une de ses relations parisiennes d’avant-guerre : Pierre Saint-Giron, qui est là depuis dix-huit mois déjà. Sa force de caractère, son esprit de solidarité, lui ont acquis l’estime des prisonniers allemands, russes et autres, qui ne l’appellent que Peter. Aussitôt, Saint-Giron intervient pour faire affecter Péarron à son atelier, le Werkstatt 1, comme rectifieur-outilleur. Il y a longtemps que Louis n’a plus touché à un outil, mais Peter, en cachette, lui termine sa pièce d’essai. Maintenant, il n’a plus qu’à attendre une machine… et la voit arriver de France fin février, toute neuve dans son emballage d’origine sur lequel une étiquette atteste encore qu’elle était primitivement destinée aux établissements Gnôme-et-Rhône d’Arnage, près du Mans ! Il reste à l’installer. Avec ses camarades, Louis Péarron doit défoncer au burin et au marteau le béton du soubassement qui la portera. C’est très dur et pénible, surtout quand on est sous-alimenté et qu’on ne mange qu’un peu de rutabaga et deux toutes petites tranches de pain noir par jour ! Comble de malchance : une forte crise de dysenterie achève de vider Louis Péarron de ses forces : « Je suis très mal en point, mes jambes refusent de me porter. C’est alors qu’il me faut signaler en toute sincérité un rare geste humain de la part d’un S. S. Celui-ci, nommé Schiller, s’aperçoit que je fais l’impossible, mais ne tiens plus debout. Il prend une planche, la place sur un seau et me permet de m’asseoir. Ce soir-là, 20 mars 1943, je ne peux retourner au camp que soutenu par deux camarades français…
« À cette période, le commandant S. S. de K. W. A. lui-même s’inquiète devant le nombre croissant des détenus spécialistes qui disparaissent sans être remplacés. Il doit admettre que nous sommes trop faibles et décide de nous donner un demi-litre de soupe de farine par jour de travail. Cela dure deux mois et permet à beaucoup de remonter la pente… »
Une fois la santé de chacun quelque peu rétablie, les Français de K. W. A. forment des groupes très soudés par atelier et s’organisent afin de travailler le moins possible pour la guerre. La « perruque », c’est-à-dire la fabrication hors contrôle d’objets n’ayant aucun rapport avec la production habituelle de K. W. A., est un de leurs procédés favoris. Comme la plupart sont des ouvriers d’une très haute qualification et qu’ils disposent de l’outillage adéquat, ils sont capables de réaliser de véritables œuvres d’art. Au départ, l’un d’eux s’arrange afin qu’un S. S. jugé sensible à la tentation le surprenne en train de terminer son « chef-d’œuvre ». S’il se l’approprie, même après avoir crié « au sabotage », c’est que le piège fonctionne. Dès lors, la « perruque » peut se développer pour répondre aux besoins de ces S. S., qui trafiquent à l’extérieur avec les coupe-papier, les poignards, les briquets, les services à fumeurs, les lanternes, les lustres fignolés par les Français. Nous reviendrons plus longuement, dans le chapitre de la résistance au camp, sur cette forme d’action. Mais quelquefois la « perruque » se contente d’être distractive.
Dans l’atelier de Pierre Saint-Giron et de Louis Péarron, Roger Thomas confectionne un jeu d’anneaux métalliques que l’on ne peut détacher les uns des autres qu’en connaissant le « truc ». Des S. S. s’acharnent durant plusieurs jours sur ces anneaux diaboliques et ne s’occupent presque plus des équipes… qui ont la paix. Mais le jeu passe vite de mode. Il faut trouver autre chose. Louis Péarron raconte à Marcel Rogé l’histoire du « moulin à vent », ce jouet truqué que l’on fait fonctionner en soufflant dans un tuyau à deux trous :
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