Sachso
selon que l’on bouche l’un ou l’autre, l’air actionne les ailes du moulin… ou renvoie dans la figure du souffleur la farine d’un petit réservoir intérieur.
En un tour de main, Marcel Rogé bâtit son petit moulin en tôle. Mais par quoi remplacer la farine absente ? La suie de la forge, râpée avec soin, est l’ersatz dont se sert Louis Péarron : « Malgré notre grande misère, il nous arrive de prendre une bosse de rire en voyant la gueule noire d’un S. S. abusé par notre piège… Pourtant, il ne faut pas rire trop fort : vu leur orgueil, nous craignons toujours une mauvaise réaction de leur part. » Ce qui n’empêche pas les Français de pousser le raffinement jusqu’à construire un second moulin identique au premier mais avec des trous inversés. Si bien que le S. S. échaudé une première fois et voulant à son tour berner un de ses collègues, se retrouve encore le visage couvert de suie !
Au cours de l’été 1944, un ordre vient perturber la vie de K. W. A. Les S. S. qui ne sont pas des spécialistes confirmés mais uniquement des embusqués, doivent quitter les ateliers pour rejoindre des unités combattantes. Cela ne fait pas l’affaire des incapables, planqués là comme le S. S. Geier, dont le premier souci avait été de casser les tabourets fabriqués par les déportés pour travailler assis et non debout. Maintenant, il presse Louis Péarron de lui apprendre à se servir de son affûteuse. Il veut passer pour un ouvrier expert afin d’échapper au départ pour le front. Mais Louis Péarron rumine sa vengeance : « En son absence, je démonte la table de la machine, je l’essuie à sec, remonte le tout et prépare un affûtage de fraises. Quand Geier veut manœuvrer la poignée de la table, ce que je prévoyais arrive : ça ne glisse pas, il faut appuyer avec force ! Il me dit que c’est dur. Je lui réponds que je suis bien placé pour le savoir et je lui apporte un escabeau. Il s’assoit, s’arc-boute sur la machine avec son pied et constate que c’est plus facile. J’en profite pour lui faire remarquer que ce n’était pas sans raison que nous utilisions les tabourets qu’il nous a interdits. Du coup, il ne nous dit plus rien quand nous restons assis.
« Quant à lui apprendre à travailler, c’est autre chose… Je m’arrange pour que, de temps en temps, la meule lui attrape les doigts et je ne lui fais jamais voir les montages. Dégoûté, il change d’atelier…
« En remplacement arrivent deux S. S., vieux ouvriers de Berlin, qui, eux, connaissent bien leur travail. L’un, qui a cinq brisques sur sa vareuse, nous regarde souvent d’un air songeur. Un jour, il interroge Fernand Soragna, un jeune que j’ai pris sous ma protection, car il a presque l’âge de mon fils. Arrêté avec son frère à seize ans, il en a maintenant dix-huit. Le S. S. lui demande pourquoi il est au camp et me pose la même question. Nous lui répondons que la Gestapo arrête sans rime ni raison. J’ajoute pour ma part qu’elle s’est acharnée sur moi peut-être parce que je suis officier français. Il reste coi et continue à réfléchir…
« Nous sommes en février 1945, les alertes, les bombardements n’arrangent pas le moral de nos S. S. Celui qui nous a interrogés prend une permission pour la Thuringe et ne revient pas. Par la suite, nous apprenons qu’il a déserté et qu’un autre S. S. de l’atelier a fait de même… »
Comme Guy Acébès qui retrouve à Sachsenhausen Raymond Labeyrie, un de ses camarades de l’École primaire supérieure de Bayonne, et son ami l’abbé Dupernet, d’Ustaritz, plusieurs déportés de K. W. A. sont du pays basque et du Sud-Ouest. À la menuiserie-serrurerie, Frédéric Esparza refait équipe avec l’ébéniste René Bon, déjà son compagnon de travail à Bordeaux. Ils fabriquent des petites caravanes pour les officiers d’état-major en campagne. André Franquet, de Bayonne, est à un tour mécanique qui lui sert de temps en temps à tourner… l’interdiction de fumer ! Il fait alors de gros copeaux, et l’huile soluble arrosant le métal brûlant dégage une fumée qui camoufle celle de sa pipe. C’est une pipe qu’il a façonnée, sculptée avec amour ! Elle est légendaire à K. W. A., et le surnom de « l’homme à la pipe » que lui donnent ses camarades (Pierre Saint-Giron, Gérard Cottin, André Bardou, Louis Péarron, René Houlbert, Roger Thomas, etc.) est repris par tous
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