Sachso
Prominente rajustent coquettement leurs Mützen. Démarrage brusque et arrêt. La colonne joue l’accordéon. “Allongez les doigts ! Tête haute ! À droite, alignement !” Une véritable cacophonie de commandements, un éblouissement de lumières. La grande porte est franchie… »
Serrés en rangs par cinq, les détenus ne relâchent pas leur attention. Roger Semence veille au grain : « Passé l’enceinte du camp, la colonne arrive sur une route cimentée mais, à deux cents mètres environ, c’est une route à gros pavés dénivelés où la marche est très difficile. Les pieds souvent se tordent. Il faut tout de même avancer et ne pas traîner. Sur le pont du canal – une fois un détenu a enjambé le parapet pour essayer de s’enfuir, mais il n’a pas été loin sous les balles –, la garde se resserre et les coups pleuvent toujours pour activer la marche. À partir de cet endroit, plus de pavés, mais une route mal empierrée, pleine de trous où il est encore plus dur d’avancer, surtout par temps de pluie. Et dire qu’il y a près d’ici, avant Klinker, la boulangerie centrale avec son odeur de pain provocante.
« À l’entrée du kommando Speer, clos d’une barrière, il faut encore resserrer les rangs. S’il ne fait pas assez jour ou s’il y a du brouillard, nous devons attendre debout, en silence, que la visibilité devienne suffisante. C’est quelquefois très long, fatigant, et cela fournit toujours à nos gardes-chiourmes des occasions de frapper… »
Le soir, le retour est aggravé par une corvée particulière imposée aux détenus du kommando Speer. Roger Semence l’explique : « Après la journée déjà pénible, nos peines ne prennent pas fin en quittant Speer. Au passage, devant la briqueterie de Klinker, à grands coups de gummi pour précipiter le mouvement, nous devons prendre une brique sous chaque bras. Cela peut apparaître comme n’étant pas excessif. Mais, après une journée harassante, marcher durant trois kilomètres sans pouvoir s’aider du balancement naturel des bras, devient vite très pénible. Malheur en plus à celui qui a la dysenterie ou envie de pisser. Il faut se soulager en marchant, car il est interdit de s’arrêter et de poser ses briques. On ne peut s’en débarrasser qu’à l’arrivée, en un endroit variant selon les besoins, souvent dans la cour de la caserne S. S., face au camp. Et, là encore, il faut faire vite et bien, car les coups pleuvent dru… » Près de quatre mille briques sont ainsi rapportées chaque soir : économie, pour les S. S., d’un transport par camions.
À son arrivée au kommando Speer, Roger Semence est affecté à la kolonne « Transport », toujours dehors, spécialisée aussi bien dans le déchargement des péniches et des wagons, les travaux de terrassement, que le poussage de wagonnets. C’est le bagne dans le bagne, mais ses nombreux déplacements permettent à Semence de rencontrer beaucoup de camarades : René Cherrier, de Bourges, Robert Christiaens, un mineur du Nord, Émile Sabel, que sa surdité totale désigne en priorité aux coups. « Fréquemment frappé, Sabel devient vite “musulman”. Un jour, il est sorti des rangs et expédié au petit camp de Klinker. Mais, peu après, je le revois à Speer. Au lieu de revenir à la kolonne Transport, il va à la casse des batteries électriques. Le travail demande moins d’efforts, mais il est très malsain. L’acide, le plomb, sont des poisons. Bientôt, Sabel est couvert de furoncles et doit retourner au camp. Je continue néanmoins à avoir de ses nouvelles par Robin, un camarade de Tours qui est dans ma kolonne mais reste à Klinker, et par Maurice Dormoy, du 18° arrondissement de Paris, qui officie au “crematorium”. C’est le surnom de son chantier de Speer où l’on brûle pneus et autres objets en caoutchouc pour en récupérer les parties métalliques. Dormoy, noirci par la fumée et pris souvent pour un Tzigane, répercute d’autre part à Klinker les nouvelles que je lui apporte du grand camp avec Émile Pattiniez et Pierre Parigaux.
« Mais, à mon tour, je suis hors course. Un jour d’hiver très rigoureux, je décharge avec Robert Michel et Henri Deninger un wagon de câbles que la neige et la glace soudent entre eux. J’ai bientôt les deux mains complètement gelées. Porter les deux briques du soir est un calvaire qui anéantit mes dernières forces. Le lendemain matin, au Revier, le docteur
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