Sachso
avec deux épingles, remercie mon camarade et rejoins mon kommando.
« Quelque temps après, à mon block, nous sommes réveillés en pleine nuit pour aller aux douches. Nous nous y rendons au triple galop comme d’habitude et j’achève de m’habiller en courant. En enfilant mon pardessus, je sens alors des renflements dans la doublure de la manche droite… Comme j’en ai la brusque intuition, ce sont des bijoux que je mets à jour, une fois seul. Sous mes yeux, ils évoquent toute une famille décimée. Il devait y avoir le père, la mère, et les deux filles, car je découvre une alliance d’homme, une chevalière d’homme avec un saphir, une alliance de femme en or ciselé avec des brillants et un petit rubis, deux bagues de jeune fille et une paire de boucles d’oreilles en or avec encore un petit rubis.
« Ma découverte me laisse perplexe. Si l’on trouve les bijoux sur moi, c’est la pendaison. Et pas question de les donner au chef de block, ce qui m’entraînerait dans une sale histoire ! Il faut donc les cacher.
« J’ai un tube de dentifrice presque vide que je conserve comme une relique. Je l’ouvre par le fond et j’y glisse bagues et boucles d’oreille. Mais un tube de dentifrice, en lui-même, est un véritable trésor au camp. Il peut m’être volé. Je cherche donc une autre cachette : un bocal que j’enterre une nuit derrière le block, en prenant pour repère une plaque de ciment…
« Plus tard, changé de block, je reprends les bijoux et les couds dans un angle replié de mon mouchoir. Quand il y a des fouilles, je pose mon béret par terre avec, dedans, le contenu de mes poches dont le fameux mouchoir. Jamais je ne serai pris et, depuis mon retour en France, je garde cette chevalière d’homme chargée de tant de souvenirs… »
À Schuhfabrik et au Bekleidungswerke, bandits de droit commun et S. S. acoquinés portent leurs trafics d’or et de bijoux à un tel degré qu’un scandale éclate le 25 février 1944. Une commission spéciale d’agents de police criminelle de Berlin est envoyée sur place pour enquêter. Elle est placée sous la direction de l’Obersturmführer Cornely, qui se déchaînera quelques semaines après contre les résistants du camp. Car, même à Schuhfabrik, si certains trafiquent, d’autres luttent à leur manière. Par exemple, Samuel Holgard, réceptionnaire à la baraque de montage des chaussures à semelles de bois, couvre chaque jour un déficit de cent cinquante paires sur la production des mille cinq cents imposées par les S. S. Chaque monteur mis dans le coup en fait une ou deux paires en moins, mais Holgard, qui livre l’ensemble au magasin, s’arrange toujours afin que, sur le papier, il y ait les mille cinq cents réglementaires.
Pour mettre un frein aux trafics, l’administration S. S. innove alors à Schuhfabrik. Deux baraques sont mises véritablement en cage. Elles sont entourées d’une double clôture grillagée, avec un chemin de ronde entre les deux, et un voile de grillage les recouvre complètement. Au printemps de 1944, Jean Deloffre est l’un des prisonniers de cette sinistre volière : « Une baraque sert de chambre, l’autre d’atelier. Le travail se fait jour et nuit, le repos du dimanche permettant la permutation des équipes.
« Douze heures de rang nous devons détruire tous les objets confisqués aux juifs avant leur génocide : chaussures d’hommes et de femmes, sacs à main, sacs à dos, portefeuilles, porte-monnaie, etc. Il s’agit de récupérer pour le trésor de guerre des S. S. tout ce qui peut y être dissimulé et c’est incroyable ce que peut recéler une chaussure.
« Dans une chaussure de femme à talon bottier, je trouve ainsi une chevalière en platine, sertie d’éclats de rubis et surmontée d’un diamant ; dans la cambrure, emballés dans un préservatif, plusieurs centaines de dollars…
« Évidemment, la surveillance est poussée à l’extrême, y compris durant la corvée de ravitaillement, qui pourrait permettre des échanges. Afin d’éviter tout contact, le S. S. qui accompagne les bouteillons amenés des cuisines du camp commence par ouvrir la porte de la première enceinte grillagée. Les bouteillons sont déposés au milieu du chemin de ronde et chacun ressort aussitôt, le dernier étant le S. S. qui verrouille de nouveau la porte extérieure. C’est seulement à cet instant qu’un autre S. S. placé à l’intérieur avec nous ouvre la porte
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