Sachso
la chance travaille pour moi.
« Quelques heures plus tard, une détonation fait trembler l’édifice. Je me retourne, ahuri. À l’endroit où je me trouvais auparavant, une épaisse fumée plane encore. On se précipite, des gémissements dominent le tumulte. J’aperçois l’infortuné Russe, éclaboussé de sang. Un Français, blessé superficiellement, lui fait une ligature sommaire au bras.
« Les autres détenus de la table souffrent plus ou moins des éclats et de la commotion. Le premier moment de stupeur passé, on songe enfin à transporter les plus atteints au poste de secours. Le pauvre Russe n’y parvient pas. Il meurt, la poitrine traversée de part en part. “Bien fait pour lui, déclarent les S. S., c’est de sa faute, il était soldat, n’est-ce pas ? Donc, il devait savoir ce qu’est un explosif et ne pas taper dessus comme il l’a fait !” »
Blessé à un doigt chez Klinker, Paul Laborie est muté à Speer, dans la kolonne du Vorarbeiter cogneur Willy, où l’on récupère les fils de cuivre. D’abord à la machine qui coupe les conduits enserrant les câbles, il a bien du mal à s’en sortir. Tout comme Guy Acébès, qui voit son ami Bidonde décliner rapidement. « Il lui faut taper à longueur de journée, dehors, sur des tuyaux de plomb pour en extraire des fils électriques qui viennent, dit-on, de la ligne Maginot. Bidonde est exténué. Il ne se lave plus. De temps en temps, c’est nous qui le lavons. »
Jusqu’au bombardement du 10 avril 1945 qui l’anéantit, en même temps que Klinker, Speer reste parmi les kommandos les plus meurtriers de Sachsenhausen. Et c’est par un juste retour des choses qu’après guerre les blocs de granit suédois, amassés en vue d’un monument à la victoire hitlérienne, servent à la construction de l’impressionnant Mémorial de Treptow où sont enterrés sept mille des vingt mille soldats soviétiques tombés dans la bataille de Berlin qui a mis le point final à la défaite nazie.
SOUS LE CAMOUFLAGE DU WALD
Au nord du camp d’Oranienburg-Sachsenhausen, le Wald déploie ses pins sur deux kilomètres et demi de long et un kilomètre et demi de large. À l’abri de ce camouflage naturel, les S. S. multiplient les dépôts et ateliers militaires sur quatre grands secteurs desservis chacun par un embranchement ferroviaire de la ligne Berlin-Stralsund. Il y a le Waffenamt Wald, le Kraftfahrzeugdepot Wald, le Hauptzeugamt Wald et le Nachrichtenzeugamt Wald.
Le Waffenamt a le plus important effectif du Waldkommando : sept cent soixante détenus chargés de fabriquer l’arme anti-chars allemande, des Panzerfaust, qui sont aussitôt essayés sur un terrain d’exercice dans le bois.
Le chiffre de la production journalière d’armes est fixé par les S. S. Il doit être impitoyablement atteint par les détenus. La sanction de vingt-cinq coups de schlague appliqués le dimanche aux punis de la semaine est monnaie courante. Mais l’intimidation va plus loin. Fin octobre 1944, Charles Huguel est alerté par une nouvelle qui court dans le kommando ; une exécution aurait été décidée :
« À l’heure du retour au camp, notre kolonne stoppe devant le terrain d’essai des Panzerfaust. La potence s’y dresse, sinistre. La kolonne de nuit qui va nous relever est là aussi. Les S. S. en armes nous entourent. Un silence angoissant plane. Un détenu sort de nos rangs : c’est un Polonais, je crois, accusé de sabotage. Il est exécuté devant nous. C’est horrible. Un long frisson et un murmure réprobateur vite réprimé parcourent les deux groupes. L’ordre de se remettre en marche est aussitôt donné.
« Quelques jours plus tard, nous nous immobilisons à nouveau au même endroit. Cette fois, il y a deux potences. Un Hollandais et un Russe sont les deux victimes désignées. Je les vois, fiers devant l’ennemi, puis soudain ce ne sont plus que deux corps pantelants, qui se balancent doucement. » Au centre de la forêt, le Kraftfahrzeugdepot est un vaste parc de réparations automobiles avec des aires de stationnement, quatre ateliers, des dépôts d’essence, d’huile, de pneus et de pièces détachées.
Sept cents détenus y réceptionnent et réparent des milliers de véhicules endommagés que des trains entiers déchargent en provenance des différents pays de l’Europe occupée. Il y a des autos, des ambulances, des camions, dont certains sont aménagés en station-radio ou en salle
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