Sachso
parisien Arbeit s’occupe de mes mains complètement déformées. Les soins consistent en bains d’eau bouillante et d’eau glacée pour les décongestionner… et j’ai cinq jours de Schonung. Je suis presque heureux. Pour la première fois, je vais passer enfin quelques jours à l’abri et au repos. Je reste en effet à mon block, assis à une table, où je décortique des fils électriques en compagnie du colonel Millon, affecté en permanence à cette besogne. À l’exception des appels et des visites fréquentes des S. S., c’est presque la vie de château après ce que j’ai connu. Désireux de la prolonger le plus longtemps possible et sachant bien que mon Schonung ne sera pas renouvelé, je me risque à inscrire sur mon bon de repos un 1 devant le 5 ; je prends soin que le crayon soit de la même couleur. Mais je n’en profite qu’en partie, car un matin, après l’appel, tous les détenus restés au camp (malades et autres) sont rassemblés et les S. S. opèrent une sélection. Les plus faibles, les plus âgés sont envoyés en transport. Moi, je retourne à Speer où les cadences ne diminuent pas, au contraire. »
Robert Basque est dans une équipe qui décharge des péniches de sacs de ciment : « Il faut aller toujours plus vite et nous courons sous la schlague. C’est ce qui importe, tant pis si des sacs tombent dans le canal ! Tant et si bien qu’un jour les péniches sont gênées pour accoster et que le déchargement doit être interrompu, le temps de débloquer la rive de tout le ciment perdu… » Marcel Couradeau confirme : « Lors du déchargement d’une péniche de ciment, les détenus doivent en courant franchir une centaine de mètres, déposer leur sac, puis revenir, toujours au pas de course, reprendre une nouvelle charge. Les Vorarbeiter et les S. S. surveillent la marche des opérations et gare aux traînards, les triques entrent dans la danse et les gars tombent comme des mouches. Mais la péniche est déchargée dans un temps record et c’est cela seul qui compte ! »
Ces courses contre la montre, dont les détenus sont toujours victimes, opposent parfois des Vorarbeiter entre eux. Pierre Clément est pris dans l’une de ces mortelles compétitions : « Vers dix heures arrivent dans le bassin de Speer deux péniches identiques de six cents tonnes chacune. L’une doit être chargée de plomb, l’autre de ferraille. Le Kommandoführer S. S. ordonne de les remplir au plus vite. Elles doivent partir le soir même. La mobilisation des détenus est poussée à fond, ainsi que celle des wagonnets. Hermann, numéro matricule 11 101, Vorarbeiter de la kolonne 10, veut avoir terminé sa tâche le premier et montrer ainsi son dévouement à la cause du Grand Reich. Peut-être succédera-t-il à Max, qui est trop haï pour n’être pas tôt ou tard assommé au tournant d’un block… Hermann commandera tout Speer. Il fera démarrer la longue colonne et il s’entend crier : “In gleichen Schritt !” (Tous, du même pas !). Cette pensée le réjouit et le fait sourire.
« Il se reprend aussitôt : “ Arbeit !” Que chacun donne le maximum, que les Vormänner s’arment d’un morceau de câble de caoutchouc d’environ quatre-vingts centimètres, la meilleure dimension : “Il faut que notre péniche de plomb soit chargée pour quatre heures.” Hermann pense : “Nous aurons fini avant la kolonne 6, qui doit charger l’autre péniche de ferraille.” »
« Les équipes s’affairent, les wagonnets se vident à grand bruit. La poussière danse dans le soleil, colle à la peau, s’agglutine avec la sueur. “Arbeit ! Schnell !” Les gummis voltigent. Lentement, la péniche s’enfonce et, à chaque instant, Hermann compare avec le chargement voisin. Mais voilà que le Vorarbeiter de la kolonne 6 fait charger de lourdes plaques de blindage à la grue. Cette fois, ce n’est plus de jeu, Hermann va se plaindre. Le Kommandoführer, qui est content, ne veut pas blesser Hermann. Il ordonne d’arrêter la grue. Quatre-vingts détenus soulèvent les plaques et, de sa canne, le Kommandoführer les “encourage” » .
« À cinq heures, les deux péniches sont chargées, mais dix détenus sont à l’infirmerie et l’un est écrasé par un lorry chargé d’une tonne et demi de plomb. On distribue enfin la soupe qu’Hermann n’a pas permis de manger à midi… »
Prise sur place, la soupe de midi, loin d’être une pause, est un
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