Sachso
journée, un S. S. casqué déboule sur son vélo et nous crie tout essoufflé : “ Panzeralarm !” (Alerte aux tanks !) Il faut aussitôt rassembler le matériel et rentrer au camp au pas de gymnastique. Comme les S. S. du poste de garde ont, à ce moment-là, autre chose à faire que fouiller vingt-cinq détenus qui galopent, nous en profitons à chaque fois pour introduire au milieu de notre groupe une petite charrette à quatre roues, pleine de patates camouflées sous des branches de pin. »
Un autre kommando, ne travaillant pas dans le Wald mais à la bordure extérieure nord du camp, est le Sonderlager. Il doit construire, en brigues, un petit camp spécial pour des personnalités d’origine étrangère que le Reich hitlérien considère comme ses otages. Il y a déjà à cet endroit le Sonderlager 1 ; quatre chalets en bois destinés aux prisonniers de marque, mais leur capacité d’hébergement est maintenant dépassée. Quand les travaux démarrent en juillet 1943 pour ce qui deviendra les Sonderlager II et III, Gaston Bernard est dans le kommando : « Nous déboisons et dessouchons d’abord, puis nous construisons un mur et des miradors, ensuite une série de bâtiments longs. On y entre par le milieu ; de chaque côté, il y a sept chambres avec W.-C., chauffage central et, en bout, une salle commune. D’autres bâtiments, carrés, n’ont que quatre pièces…
« Le Vorarbeiter est une brute : un Allemand ayant tué une jeune fille après la guerre de 1914-1918 et qui s’est engagé dans la Légion étrangère. Il y est resté quinze ans, puis s’est établi entrepreneur de maçonnerie du côté de Lyon. Quand les Allemands sont entrés en France, il a été arrêté et envoyé au camp. Il parle très bien le français, et si, personnellement, il ne me frappe jamais, je le vois par contre jeter une brique sur un détenu en pleine figure, en frapper d’autres avec un manche de pelle ou de pioche…
« Après un contact établi non sans méfiance, j’ai l’occasion, en août 1943, de discuter avec un de nos gardiens S. S. D’après lui, il est de mère française et a dû s’engager dans les S. S. afin d’échapper à des poursuites judiciaires. Il nous parle des injustices existant au sein de l’armée allemande suivant la position sociale des individus. Il évoque ses campagnes dans sept pays et déclare préférer le combat au front plutôt que la surveillance dans les camps. Quoi qu’il en soit, il nous fournit pas mal d’informations…
« Un soir, au moment de rentrer, il manque un prisonnier. Nous restons à le chercher jusqu’à ce qu’une compagnie de S. S. avec chiens et projecteurs prenne possession du terrain. Nous arrivons donc en retard à l’appel, qui se prolonge encore longtemps pour tout le monde. Le lendemain matin, de retour au kommando, nous trouvons les S. S. harassés s’apprêtant à plier bagages quand soudain le disparu descend d’un arbre où il s’était réfugié. Je pense qu’il avait dû s’y cacher pour dormir et qu’ensuite, devant le remue-ménage provoqué, il n’avait pas osé se montrer. On l’emmène et nous ne le reverrons jamais…
« En ce même été 1943, nous abandonnons le Sonderlager pour aller construire, de l’autre côté du camp, des baraquements destinés à l’inspection centrale S. S. des camps de concentration. Le terrain est une place plantée de petits pois et entourée de villas d’officiers avec chacune un grand mât pour hisser les oriflammes nazies.
« On commence à nous mettre tous en rang sur une ligne pour ramasser les petits pois secs. Des gardiens nous surveillent avec des matraques afin que nous n’en mangions pas. Malgré cela, le soir, nous avons tous la colique…
« Il nous faut ensuite enfoncer des rondins qui serviront de pilotis aux fondations. À quatre, nous nous servons d’une grosse poutre de bois à quatre poignées que nous levons et laissons retomber en cadence. Heureusement que le sol est sablonneux !
« Les baraquements, dont nous recevons les panneaux tout prêts de Belgique, peuvent alors être montés. C’est pressé : nous rentrons plus tard que les autres, mais de la nourriture supplémentaire nous est distribuée. Un jour, avec un autre détenu et accompagné d’un Vorarbeiter, je vais chez un officier S. S. descendre un porte-bouteilles dans sa cave. Nous retrouver dans une maison nous fait tout drôle… Cela ne dure pas, le travail nous attend
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