Sang Royal
passer devant moi, me laissant avec Mlle Marlin, qui me gratifia d’un sourire dénué de chaleur.
« Eh bien, lui demandai-je, avez-vous aimé le spectacle ?
— Pas vraiment, répondit-elle, en me fixant de ses grands yeux sombres. Je dois vous parler », ajouta-t-elle. Elle désigna du menton le dos de Tamasin et de Barak. « Cela m’ennuie que votre valet continue à faire la cour à la jeune Reedbourne. À York, elle se trouve sous ma responsabilité. Surtout après avoir été traînée de la sorte chez sir William.
— C’est la conduite de mam’selle Reedbourne qui a causé ces ennuis, pas celle de Barak.
— En tant qu’homme, c’est lui qui détient l’autorité.
— Mam’selle Reedbourne me semble tout à fait capable de se débrouiller toute seule. Vous la connaissez bien, mademoiselle Marlin, vous devriez le savoir. Elle s’habille très bien », ajoutai-je en regardant sa belle robe verte.
Son ton devint encore plus désapprobateur. « Je ne trouve pas raisonnable qu’ils se fréquentent. Et votre valet m’a tout l’air d’un singe lascif. Tamasin est encore jeune et elle n’a personne au monde pour la protéger. Sa mère est morte. Il est de mon devoir de m’occuper d’elle. » Elle me regarda fixement. « Je dois la protéger de ceux qui cherchent à la fréquenter dans le seul but de trouver un emploi à la Cour. Quant à ses vêtements, sa grand-mère, qui était sa tutrice, lui a laissé un peu d’argent. Elle n’est pas dépensière, elle souhaite seulement être élégante.
— Vous jugez fort mal mon assistant, rétorquai-je d’un ton brusque.
— Vraiment ? Les serviteurs de la Cour constituent une belle prise, car ils gagnent extrêmement bien leur vie. » Elle plissa à nouveau les lèvres comme si une dent cariée l’élançait.
— Je doute que Barak ait pensé un seul instant à cet aspect des choses… Je lui verse un assez bon salaire, ajoutai-je.
— Je vois beaucoup de cupidité à la Cour, monsieur.
— Je n’en doute point. Mais nous n’avons rien à voir avec la Cour. Nous sommes des juristes londoniens. »
Elle planta sur moi un regard perçant. « Mais vous jouissez également de contacts à la Cour, me semble-t-il. Il paraît que vous vous présenterez demain devant le roi.
— En effet. Pour lui remettre les placets. » J’aurais préféré qu’elle ne me le rappelle pas.
« Et j’ai entendu dire que vous travaillez directement pour sir William Maleverer. »
Je fronçai les sourcils. « Où avez-vous entendu dire ça ? »
Elle haussa les épaules. « Le monde des serviteurs royaux est petit.
— Il s’agit d’affaires juridiques, rétorquai-je d’un sec. Et quel rapport cela a-t-il avec Barak et mam’selle Reedbourne ? » Devant nous, Barak se pencha tout près de Tamasin et lui murmura quelque chose qui la fit partir d’un rire perlé. Mlle Marlin leva les yeux sur eux, puis, se tournant vers moi, me lança un regard empreint d’une sorte de haine. Cela me ramena plus de vingt ans en arrière, quand Suzanne, dans ce sentier de campagne, avait dardé sur moi ce même regard de rage insensée.
« Vous faites partie de ceux qui font carrière au service de l’État pour se remplir les poches, déclara-t-elle d’un ton perfide. Et tel maître, tel valet.
— Comment osez-vous ? » répliquai-je avec colère. Nous nous étions presque arrêtés et des gens nous contournaient en pressant le pas. Elle me fit face.
« Je crois que, tel Maleverer, vous faites partie des ambitieux qui ont utilisé la réforme pour gravir les échelons.
— Par ma foi, dame, vous avez une langue fort acérée pour une inconnue ! Que savez-vous de ma vie et en quoi cela vous regarde-t-il ? »
Loin d’être ébranlée, elle me fixa droit dans les yeux. « J’ai entendu Tamasin et votre valet évoquer votre carrière. Comment vous étiez jadis un réformateur, protégé par lord Cromwell. Mais votre zèle a tiédi, désormais, cela saute aux yeux. Comme à tant d’autres, tout ce qui vous importe aujourd’hui, c’est de préserver votre richesse. »
Des passants se retournèrent pour nous regarder. L’un d’entre eux lança : « Qu’est-ce que vous attendez pour corriger cette pie-grièche m’sieu !
— Savez-vous pourquoi mon pauvre Bernard est enfermé dans la Tour ? poursuivit Mlle Marlin sans se démonter. Parce que des gens de Londres aimeraient qu’il soit condamné pour complot et
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