Sang Royal
jouaient aux cartes. Ils s’interrompirent pour nous regarder passer. Un grand nombre d’entre eux devaient tout juste revenir du voyage royal, peut-être certains avaient-ils assisté à l’épisode de Fulford.
J’étais déjà venu à la Tour, en mission officielle, et quand je compris qu’on nous emmenait dans les cachots, j’eus un violent coup au cœur et l’angoisse me serra l’estomac. On descendit un escalier à vis éclairé par des torches, de plus en plus bas, avant d’atteindre tout au fond une porte dans laquelle s’ouvrait un judas muni de barreaux. Au-dessous du niveau de l’eau, les murs suintaient et luisaient d’humidité. J’étais venu là quatre ans plus tôt afin d’obtenir des renseignements auprès d’un geôlier et j’avais alors eu un bref aperçu de ce qui se passait en ce lieu ; mais je n’y avais pas prêté grande attention, ma mission occupant alors entièrement mon esprit. Sir Jacob cogna contre la porte. Il y eut un cliquetis de clefs, la porte s’ouvrit et on nous fit entrer. Puis la porte claqua derrière nous. Je me sentais plus impuissant que jamais, complètement coupé du monde d’en haut.
Nous nous trouvions dans un espace au sol dallé, mal éclairé et entouré de murs de pierre. Il y faisait froid et très humide. Les murs étaient percés de lourdes portes entravées de barres de fer. Au milieu du local, donnant à l’endroit un aspect incongrûment domestique, se trouvait un bureau sur lequel était posée une grosse bougie de cire d’abeille qui projetait une lumière jaunâtre sur un amas de papiers. Le gardien qui nous avait fait entrer, gros homme aux cheveux gras coupés court, s’approcha et se posta à côté de nous. Sir Jacob prit un papier, l’examina, hocha la tête. « Ah, il est donc prêt, je vois. Mettez Radwinter au numéro neuf, dit-il tranquillement. Enchaînez-le, puis revenez. Caffrey est-il là-haut ?
— Oui, sir Jacob.
— Ramenez-le avec vous. » Il fit un signe de tête aux soldats. « Vous pouvez disposer. »
Ils partirent, leurs bottes claquant bruyamment sur les marches. Le gardien leur ouvrit la porte, revint, empoigna le bras de Radwinter et l’emmena. Radwinter ne résista pas, complètement hébété, semblait-il. Ils disparurent au détour d’un couloir tout au fond du local, au son du cliquetis des clefs suspendues à la ceinture du gros homme. Sir Jacob se tourna vers moi.
« Je suis sir Jacob Rawling, vice-gouverneur de la Tour, chargé de ce genre de tâches. » Il eut un sourire glacial en balayant l’espace de la main.
« Oui, monsieur. » Je frissonnai. Le froid me transperçait jusqu’aux moelles à travers mes vêtements trempés.
« Il est triste de voir quelqu’un de votre rang réduit à cet état. » Sa façon de secouer la tête lui donnait bizarrement l’air d’un maître d’école gourmandant un élève sur le point d’être puni pour avoir commis une grave infraction à la discipline.
« Je ne sais pas pourquoi j’ai été arrêté, monsieur », osai-je déclarer.
Il scruta mon visage, plissa les lèvres et expliqua : « L’affaire est liée à la reine. » La stupéfaction me fit cligner des yeux. Il ne s’agissait donc pas du tout de Blaybourne. Mais, dans ce cas-là, pourquoi avais-je été arrêté et non pas Barak et Tamasin ? Horrifié, je pensai que la reine avait été découverte. On alléguera que j’avais omis de dénoncer l’adultère qu’elle avait commis avec Culpeper. Maleverer devait donc être au fait de la situation depuis le début.
« N’aviez-vous pas déjà assez de préoccupations au cours de ce voyage ? » me demanda sir Jacob en me gratifiant d’un nouveau sourire de maître d’école, comme si, malgré tout, quelque chose dans la mauvaise conduite du garnement l’amusait. Peut-être le fait d’avoir eu la naïveté de croire qu’il pourrait s’en tirer. Il m’étudia avec intérêt. « On a déjà entendu votre nom en ce lieu, tout récemment. Quand on a torturé Bernard Locke. On cherchait à découvrir le rôle qu’il avait joué dans les tentatives de meurtre dont vous avez été victime. »
Il ne prononça pas le mot « torturé » avec plaisir, comme l’aurait fait Radwinter, ni avec une froide détermination, comme Maleverer, mais d’un ton parfaitement neutre. Et, d’un seul coup, il me fit très peur.
« Je le sais, monsieur.
— Je sais que vous le savez. Sir William l’a signalé dans le rapport
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