Sang Royal
fou ?
« Laissez-le ! cria quelqu’un, il finira par se calmer. » La foule se tenait à l’écart, en demi-cercle autour de l’animal immobile, tremblant, terrorisé par l’attroupement qu’il venait de provoquer.
« Sangdieu ! que s’est-il passé ? Tu vas bien, Shardlake ? » Je me retournai vers la personne qui se trouvait à mes côtés. Craike contemplait la scène, bouche bée.
« Oui. C’est le cheval du verrier, quelque chose a dû l’effrayer.
— Le bonhomme Oldroyd ? demanda Craike en jetant des coups d’œil à l’entour. Où est-il ?
— Je ne sais pas. »
Il fixa le cheval terrifié. « C’est en général le plus tranquille des animaux. On n’a même pas besoin de l’attacher. Maître Oldroyd le laisse paître à côté du chariot.
— Veux-tu m’accompagner pour voir ce qui a pu l’effaroucher ? »
La foule grossissait. Des serviteurs sortis de la maison abbatiale et des ouvriers à demi vêtus, surgis de leurs tentes, allaient et venaient en tous sens. J’aperçus le sergent rencontré la veille qui, accompagné d’un petit groupe de soldats, accourait à toute vitesse.
« D’accord, répondit Craike. Je t’accompagne. » Il regarda Tamasin qui se tenait toujours près de moi.
« Je suis surpris, ma fille, que vous soyez si matinale et toute seule.
— J’attends Mlle Marlin.
— Je pense que vous devriez l’attendre à l’intérieur », déclarai-je d’un ton ferme. Elle hésita un instant, puis fit une profonde révérence et s’éloigna. Craike se dirigea vers le sergent et je lui emboîtai le pas. Tamasin s’était arrêtée au bord de la foule et continuait à contempler la scène. Je dus lui lancer un regard chargé d’animosité car elle reprit le chemin du manoir incontinent.
Craike parlait au sergent. À l’instar des personnes anxieuses, dans un réel moment de crise il faisait preuve d’un grand sang-froid. « Ce cheval appartient à l’homme qui enlève les vitraux de l’église. Je crains qu’il ne soit arrivé malheur à son maître. Pourriez-vous nous accompagner avec un de vos soldats ?
— D’accord, monsieur.
— Il vaut mieux que les autres restent ici afin de surveiller le cheval et de renvoyer la foule à ses occupations. Quelqu’un doit aller mettre au courant sir William Maleverer. Comment vous appelez-vous, sergent ?
— George Leacon, monsieur. » Le sergent adressa quelques mots rapides à ses hommes, choisit un soldat aussi grand et costaud que lui, puis, serrant fermement sa pique, il se dirigea vers le flanc de l’église.
La brume était toujours dense. Nous marchâmes avec précaution sur des caillebotis mouillés placés à droite du bâtiment. Je regrettais que Barak ne fût pas avec moi. J’entendis alors un bruit devant nous, un grincement de métal rouillé. Je me tournai vers Craike. «Tu as entendu ?
— Non.
— On aurait dit un bruit de porte qu’on referme.
— Qu’est-ce que c’est que ça, là-bas ? » fit-il en désignant une large masse marron qui se dessinait devant nous dans la brume. Lorsqu’on s’en approcha, on reconnut le chariot du verrier. Son échelle était appuyée dessus.
« Où est-il donc ? demanda Craike, perplexe. On ne voit goutte à cause de ce fichu brouillard. Maître Oldroyd ! » cria-t-il d’une voix forte. Le soldat l’imita. Leurs voix semblaient assourdies par la brume. Aucune réponse. Rien.
« Il avait dû détacher le cheval pour le laisser paître. Mais qu’est-ce qui a pu l’effrayer à ce point ? »
Les deux hommes lancèrent à nouveau plusieurs appels. J’examinai le chariot. La façon étrange dont l’échelle était posée fit naître en moi une prémonition. Je touchai le bras de Leacon.
— Pouvez-vous m’aider, sergent ? Je voudrais jeter un œil à l’intérieur du chariot. »
Le jeune homme hocha la tête, se pencha et me fit un étrier de ses deux mains. J’agrippai le rebord et je me sentis soulevé, ma robe se déchirant sur un éclat de verre fiché dans le bois. Soutenu par le soldat, je découvris l’un des spectacles les plus atroces que j’aie jamais vus.
Le chariot était aux trois quarts plein de fragments de vitraux fracassés. Maître Oldroyd gisait sur le dos par-dessus le verre, le corps criblé en de multiples endroits d’esquilles pointues. Un long fragment, effilé comme une épée et couvert de sang, avait transpercé son ventre. Juste au-dessous du mien, le visage
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