Sang Royal
beaucoup », renchéris-je. Le côté déluré de la donzelle ne me plaisait guère, mais elle s’était donné du mal pour nous. Je décidai d’être courtois, même si je devais m’y efforcer. « Nous avons faim, ajoutai-je. Et vous aussi, j’imagine. Les membres de la suite de la reine ont sans doute leur salle à manger particulière.
— Oh non, monsieur ! s’écria Tamasin. Nous mangeons dans la salle commune, nous aussi.
— Avec la racaille, précisa Mlle Marlin de sa voix pointue. Dieu merci, la salle à manger de la reine sera installée demain, et alors nous pourrons nous y restaurer en paix. » Elle toisa Barak. « Ce soir, j’ai décidé d’accompagner Tamasin. Il ne serait pas convenable qu’elle dîne seule. »
Ne trouvant rien à répondre, je fis un salut pour inviter les deux femmes à passer devant nous. Nous gravîmes un large escalier dont les corniches étaient ornées de beaux anges sculptés. Des serviteurs montaient et descendaient, chargés de plateaux et d’outres de vin. Nous pénétrâmes dans l’ancien réfectoire des moines. Des rangées de tables à tréteaux avaient été disposées si près les unes des autres que les domestiques devaient se faufiler entre elles. J’estimai le nombre de places à environ deux cents, la plupart d’entre elles étant occupées par des ouvriers et des charpentiers à l’air fatigué. J’aperçus les clercs, qui s’étaient installés un peu à l’écart. À la table d’à côté, un petit groupe de femmes étaient assises ensemble. L’une d’elles regarda Mlle Marlin, puis donna un petit coup de coude à ses voisines, qui la fixèrent en gloussant. Jennet Marlin s’empourpra. Je la plaignis.
Un homme portant la robe noire d’un appariteur se précipita vers nous. Nous lui remîmes nos billets et il nous conduisit à une table de quatre places. J’étais content de dîner assez loin des clercs. Mlle Marlin fronça le nez en s’asseyant, à la vue des nappes et des serviettes tachées. Un serviteur planta un pichet de bière sur la table avant de repartir très vite. Je versai à boire à tout le monde.
« Dieu merci, à cette table, les assiettes et les gobelets sont en étain », fit remarquer Mlle Marlin. Jetant un coup d’œil à l’entour, je constatai que les charpentiers buvaient dans des chopes en bois.
« Ainsi donc, certaines convenances sont respectées », dis-je. Un autre serviteur apparut, chargé d’une grande soupière pleine de potée. Dans sa hâte à la déposer sur la table, il en renversa un peu sur la nappe. Mlle Marlin soupira, mais Tamasin éclata de rire en lui passant la soupière.
« Nous devons faire contre mauvaise fortune bon cœur », déclara-t-elle. À ma grande surprise, Jennet Marlin lui fit un bref sourire affectueux.
« Comment êtes-vous entrée au service de la reine ? demanda Barak à Tamasin, une fois que nous fûmes tous servis.
— Ma mère servait à la Cour avant moi. Depuis deux ans je travaille pour le pâtissier de la reine. Si on m’a demandé de participer au voyage c’est grâce à mon expérience dans l’élaboration des confiseries, ajouta-t-elle avec fierté. On m’a envoyée à l’avance avec lady Rochford et Mlle Marlin afin de préparer pour la reine et sa maison les délicieuses et coûteuses douceurs qu’elle aime tant : friandises de massepain, d’amandes et de gingembre. »
Je me tournai vers Jennet Marlin. « Et vous, mademoiselle, y a-t-il longtemps que vous servez lady Rochford ? »
Elle me toisa de son air hautain. « Non, monsieur. Je servais lady Edgecombe quand lady Anne de Clèves était reine. Je suis passée au service de lady Rochford l’été dernier.
— Et vous êtes du Nord ?
— Je suis originaire de Ripon, mais j’ai été envoyée à la Cour à l’âge de seize ans.
— Et vous avez suivi le cortège depuis le départ ?
— Oui, soupira-t-elle. Au mois de juillet, nous avons voyagé dans le froid et sous la pluie. Tout était incroyablement répugnant. Il pleuvait tant que toutes les routes avaient l’aspect de bourbiers. À tel point que les membres de la maison du roi affirmaient qu’il fallait rebrousser chemin, mais le roi et ses conseillers ont insisté pour que le voyage se poursuive. »
Je hochai la tête. « À cause de son extrême importance du point de vue politique.
— C’est cela. Puis, lorsque le temps s’est amélioré, le roi s’est attardé à Hatfield et à
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