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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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de moi. Il était clairement inscrit dans son regard qu’elle m’aurait défiguré avec plaisir. Inopinément, après un bref et dernier coup d’œil vers son mari, elle se leva, vint poser sa corbeille à ouvrage sur la desserte, passa devant moi en m’ignorant et ordonna à sa fille de la suivre. La porte claqua sec derrière elles. Un objet vibra pendant quelques secondes du côté de la petite console.
    Dégrisé, je regardai Gaubert qui n’avait pas eu le temps de soulever son derrière. Sourire embarrassé. Succédant à mes coups de gueule, le silence devenait énorme dans la pièce. J’hésitai un instant, puis, échangeant le bonsoir avec Gaubert, je quittai les lieux à mon tour. Simone et la gosse étaient dans la cuisine. La porte vitrée éclairée se découpait dans l’obscurité du vestibule.
    Je ne sais pourquoi je me déshabillai dans le noir et retrouvai mon lit avec soulagement. Mais un moment après, en récapitulant ce qui venait de se passer, j’éprouvai le besoin intense de revoir le tableau de Dali qui avait servi d’amorce à la tempête. La loupiote dans l’angle de ma table profilait une clarté géométrique sur toute la moitié supérieure du dessin. La Croix baignait dans la lumière. Nue et violente. Comme j’avais bien fait de leur dire ce que je pensais et sans mâcher mes mots ! S’ils ne comprenaient pas le sens de ma colère, tant pis pour eux ! Le genre de sainte colère dont on n’a pas à rougir. S’ils me jetaient à la porte le lendemain, tant pis pour eux ! Ils pouvaient boucler leurs portes, tous, tous autant qu’ils étaient, je me situais, moi, du côté de cette Croix. Monde clair et difficile où une porte fermée en ouvre mille autres instantanément.
    L’oreiller en boule derrière la tête, je me laissai lentement hypnotiser par ce Christ présent, la tête penchée en avant au-dessus d’une mer de gomina laquée bleu-noir qui enduit l’ébauche d’un paysage de côtes africaines. Christ paraissant dominer à lui seul de sa force le tragique de sa destinée déjà accomplie dans la durée et l’étendue, tant il entre de vigueur calme, de puissance indomptée dans toutes les parties de ce corps aux muscles d’émail. Grande et pure beauté païenne. Sereine. Extraordinairement charnelle aussi. À la fois homme, père, fils, époux et amant du monde. Corps dessiné, conçu par Dieu pour soutenir l’effort gigantesque qu’il lui faudra subir sur terre face à la cruauté et à l’incompréhension de ses frères de race de qui il doit nécessairement tenir sa mort et sa glorification. Corps superbe, cimenté de jeunesse. Fait pour l’amour des corps et les étreintes des amours humaines. Encore intact. Sans la souillure du sang après qu’il eut cependant éprouvé la torture. Sa chevelure de bélier roux comme offerte aux caresses, aux peignes des doigts de femmes, et c’est à Marie que l’on songe, tenant pressé ce doux cadavre contre sa poitrine lacérée de souffrance, les yeux secs, éperdus d’avoir longtemps pleuré, venant à peine de franchir en elle le dernier cap de la peur et de l’incertitude. Durcie. Blessée. Et jouant, inconsciente, comme une maîtresse comblée, avec ces boucles de cheveux entre les doigts. Christ de vie. Christ-Roi. Christ de vérité et de plénitude heureuse qui semble appeler en vain quelques pêcheurs occupés dans le port autour d’une barque, comme s’il avait à leur confier de toute urgence une ultime parole qui dénouerait pour nous le sens absolu de son sacrifice. Sur le fond d’un ciel de ténèbres, la Croix seule illuminée par le début d’une aube qui monte vers elle depuis cette terre contient le symbole exaltant de notre force, de notre toute-puissance. Ces pêcheurs affairés n’auraient qu’à cesser un instant de s’occuper de leurs filets, tourner sur eux-mêmes leur regard et se mettre à entendre pour que leurs terreurs et les nôtres fassent soudain place à la sagesse et à la paix. Mais, comme au jour du martyre, ces hommes restent sourds, frères de ceux qui, au Calvaire, n’esquissèrent pas le moindre geste de salut et firent en tout silence, accablés peut-être, mais résignés et portant leur part du meurtre. Ces hommes restent froids, intouchables, debout à mi-jambes dans l’eau, en posture de recevoir un mystérieux baptême qui les rendrait à la vie vivante. Obtus, ladres, assoiffés de possessions infimes, ils vaquent tranquillement à leurs affaires du

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