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Septentrion

Septentrion

Titel: Septentrion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louis Calaferte
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malgré elle. De colère. De rage. C’est la première fois que je la vois pleurer. On dirait que cette eau qui coule en vermicelles va lui ramollir la peau. Qu’elle va fondre, se dégonfler comme un gros bouton qu’on perce. Je la revois, sa tête sur l’oreiller, les lèvres ouvertes, quand je la tenais bien empalée sous moi. Sa gueule de jouisseuse. Et puis, maintenant qu’elle s’effondre, vioque, pitoyable. Un grand désastre. Je l’examine de la tête aux pieds. Elle porte une blouse d’intérieur bleu marine à grand col blanc. Ce corps. Ce corps ventru constamment surchauffé de désirs. Comme si les ovaires bien à l’abri dans leur caverne avaient oublié de vieillir. Une greffe toute fraîche sur le vieux cep. Si moche, les yeux en larmes, le nez mouillé, si délabrée. Elle chiale vraiment. Par petites saccades, en reniflant. Elle me débecte. Ça me glace de la voir comme ça. J’ai envie de sortir, de marcher, de voir du monde. D’aller boire un coup dans un grand café au milieu du mouvement. Me sentir libre, bien portant, jeune, comme après une année de plumard entre vie et mort. Ne plus savoir qui est Mlle Van Hoeck, qui est Jiecke, sa fidèle suivante. Qu’une paire de salopes portant ces noms barbares se soient installées dans un appartement de luxe sous nos latitudes, en quoi cela me concerne-t-il ? Moi, le rejeton mâle du glorieux Hermanubis Thot, promis aux plus hautes destinées par la seule magie de mon verbe !
    J’ai déjà gaspillé bien du temps en vain. Prenons par le sous-bois.
    Elle proteste encore. Récalcitrante. Je la force à reculer vers le lit, marchant sur elle. Elle prend peur, comme prévu. L’œil agrandi. L’inquiétude. Voit que c’est sérieux. Bafouille quelque chose. Que je n’ai pas le droit de la toucher, pas le droit de lever la main sur elle, qu’elle va appeler, appeler qui, appeler quoi, elle heurte le lit et tombe assise. Visage blanc. Paralysée. Je n’ai pas articulé un mot depuis une demi-heure. Si je m’en réfère à la manière dont elle me regarde, je dois avoir un drôle d’air en ce moment.
    Alors c’est un geste inconscient, automatique, comme un réflexe de prudence. Elle attrape son sac sur la table de nuit. Ses mains qui tremblent en l’ouvrant. Fébriles. Elle me tend l’argent à bout de bras. J’empoche. Sans compter. Elle croit que c’est fini, que je vais décamper. Ses jambes pendent devant le lit. Elle a perdu une de ses mules. Son bas a filé sur le cou-de-pied. Je ne sais pas pourquoi je remarque ce détail. Les femmes que j’ai connues du temps des vaches maigres avaient toutes des bas filés. Quand elles se déshabillaient dans la chambre, la jupe relevée sur le côté pour dégrafer en dessous, j’aurais pu parier dix contre un, ça ne ratait jamais. L’écaillure sur la cuisse, arrêtée au genou.
    Nora ferme son sac. Elle ne dit plus rien. Elle attend, elle m’interroge du regard, ne comprend pas pourquoi je suis encore là. La peur se développe. Je m’étonne moi-même d’être capable de toutes ces manigances depuis le début. J’ai l’impression d’agir par procuration. Si je réfléchissais une seconde, je tournerais les talons, tant pis pour le fric, tant pis pour ce qui suivra, avec ce qu’elle m’a donné ça tiendra une semaine, deux semaines, peu importe. Mais je reste. Paradoxalement, je me dégoûte de faire ce que je fais et pourtant j’ai besoin de le faire. Délectation trouble, puissante. Je veux l’argent qu’elle garde toujours en réserve dans un tiroir de la commode. Elle a la clef dans la pochette de son sac. Elle se recule, comme si j’allais bondir sur elle par surprise. Elle ne me donnera rien de plus. Rien. J’ai de l’argent, j’ai ce qu’il me faut, que je m’en aille, que je la laisse, par pitié ! Elle serre son sac contre elle. En boule sur le lit. Nos regards se nouent. Se comprennent. Le silence dans la chambre. Un camion qui passe fait trembler les vitres. Lentement, sans me lâcher des yeux, comme fascinée, sans regarder ce qu’elle fait, lentement, elle ouvre le sac. J’attrape la clef au vol. Derrière moi, pendant que je me sers dans le tiroir, je l’entends pleurer, gémir. Elle répète un mot que je ne comprends pas. Je fourre les billets dans la poche de ma veste. Je ne sais plus si je dois m’en aller en courant ou d’un pas tranquille. Elle est affalée, la tête dans le traversin. Sous sa blouse, sa jupe plissée s’est retroussée

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