Septentrion
changé ? À part l’insecte minuscule qui serait peut-être crevé dans un coin de la chambre, au fond, devant la fenêtre, à moins d’un mètre du squelette poussiéreux de feu Mlle Van Hoeck, maîtresse femme de l’Éocène seconde manière. Morte en menant sa barque. La bonne blague ! S’asseoir sur une pierre dans le désert et aboyer à la lune.
Bien que Nora, elle, ne l’entende pas de cette oreille. Vient me rappeler à l’ordre, tout feu tout flamme, campée devant moi, grande et droite, m’indiquant la porte, le bras tendu, si je voulais sortir, me presser un peu, que nous n’avons plus rien à nous dire. Elle est à deux doigts de m’empoigner le bras, de me tirer de mon siège. Seul un reste de crainte instinctive l’en empêche. Peu accoutumée à ce qu’on lui résiste longtemps, mon silence a dû lui sembler significatif. Selon elle, je devrais me carapater ou lui demander pardon avec des marques de soumission. Elle a retrouvé tout son aplomb. Ma Nora des beaux jours en quelque sorte. Telle que Dieu l’a faite. Garce finie. C’est largement suffisant pour me remettre en prise. J’allais peut-être caner, par lassitude. Il n’en sera rien. Vingt fois je l’ai vue comme maintenant, impérieuse, tyrannique, sans avoir le courage de lui dire ce que je pensais d’elle, cédant toujours pour avoir la paix, jusqu’aux limites de la patience et même au-delà. Du moment que j’encaissais tout, à quoi bon se gêner avec moi ? Et pourquoi ne pas continuer en si bon chemin ? Parce que le petit soldat en a décidé ainsi. Vous aurez beau crier, tempêter, donner des ordres, je ne bougerai pas d’un poil tant que la galette ne sera pas en ma possession. Idée fixe, comme vous voyez.
Elle ne veut pas m’écouter. Prend la mouche quand je lui parle argent. Envenimée. Les joues cramoisies. Elle fulmine. Ne tient pas en place. Comment pourrait-elle s’y prendre pour me flanquer dehors, seule question qui la préoccupe.
Elle tourne, elle vire, m’insulte un coup en passant, je suis un salaud, un voyou, la racaille, un sale youd. Ça ne me fait pas remuer. Je suis calé entre les accoudoirs, jambes croisées, je me régale, ma vengeance. Elle songe à appeler Jiecke ; à quoi pourrait-elle bien servir, la pauvre fille, ou alors les flics, ou les voisins, ou faire sonner le tocsin pendant qu’elle y est. J’attends qu’elle se calme, qu’elle puisse raisonner de sang-froid. La résignation suivra. Pas moyen de se débarrasser de moi autrement, elle devra en venir à cette évidence. Son langage change déjà. Arguments de femme. Elle me déteste, elle me méprise, je suis un lâche. Ça va beaucoup mieux. Elle mitige, veut m’apprivoiser. Je dois partir, la laisser, elle n’en peut plus. Cette scène est odieuse. Je reviendrai demain, ou plus tard, quand je voudrai, je n’aurai qu’à lui téléphoner, elle me donnera rendez-vous quelque part, et si j’ai réellement besoin d’argent, à ce moment-là, nous verrons. Mais que je n’escompte surtout pas la faire chanter, je n’y réussirai pas. Si elle me dépanne de quelques milliers de francs, elle le fera parce qu’elle me connaît, par sympathie, jamais en lui forçant la main. Cela dit, au revoir, elle a besoin de rester seule.
Coriace, ma Nordique ! Finaude, tortillarde. Cherche à m’évincer en douceur. À gagner du temps. Avec les autres s’en est-elle tirée comme ça, par un entrechat approprié ? Et sont-ils tous tombés dans le panneau ? Si oui, ça lui fait un tableau de chasse pour le moins honorable. Toutefois elle n’y ajoutera pas ma dépouille. Trophée chèrement disputé qui manquera toujours à sa collection.
Guettant ma réaction, elle s’assied sur le lit en face de la coiffeuse, comme brisée, abattue. Mais son regard veille. Fixe et dur. Elle a fait donner l’artillerie et, logique avec elle-même, elle attend les résultats.
Décevants, Nora. Je ne marche pas.
Elle le devine en me voyant me lever sans me presser, allumer une cigarette, attendre que l’allumette se soit consumée jusqu’au bout avant de la poser dans le cendrier. Gestes qui me sont naturels. Je jette un coup d’œil dans sa direction. Hoche la tête comme pour la plaindre d’avoir manqué la cible. Elle est debout. D’un bond. Devant moi. Nez à nez. Elle m’injurie. Dégoise. Braille à tue-tête. N’importe quoi. Dans les deux langues. Ça s’embrouille. Elle grimace. Les yeux exorbités. Les larmes giclent
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