Sépulcre
vérité dans ce genre d’élucubrations, monsieur Baillard ?
Il croisa son regard.
— L’esprit humain ne peut rien concevoir qui n’existe déjà dans la nature, dit-il. Tout ce que nous faisons, voyons, écrivons, composons, ou plutôt transcrivons, est l’écho des structures profondes qui constituent l’univers. La musique est l’invisible rendu visible grâce au son.
Nous voilà presque au cœur du sujet, songea Léonie, en proie à une drôle de sensation. Depuis le début, sans s’en rendre compte, elle avait fait en sorte d’en arriver au moment où elle lui dirait comment elle avait découvert le sépulcre caché dans les bois, amenée là par les secrets obscurs que recelait le livre et la curiosité qu’ils avaient éveillée en elle. Un homme tel qu’Audric Baillard comprendrait. Il lui dirait ce qu’elle souhaitait savoir.
Léonie inspira profondément.
— Connaissez-vous le tarot, monsieur Baillard ?
Le visage de son voisin ne changea pas d’expression, mais ses yeux s’aiguisèrent.
Presque comme s’il attendait cette question.
— Dites-moi, madomaisèla, dit-il après un petit silence, votre question est-elle oui ou non reliée aux sujets que nous avons déjà abordés ?
— Les deux, répondit Léonie, et elle sentit ses joues s’enflammer. Si je vous le demande c’est parce que… parce que je suis tombée par hasard sur un livre dans la bibliothèque. Un texte écrit dans un style vieillot, et en termes assez obscurs. Cependant il m’a semblé que… Je ne suis pas certaine d’avoir deviné son véritable sens.
— Continuez.
— Ce texte, qui se présente comme un témoignage et fut écrit…
Elle s’interrompit, hésitant à révéler son auteur. M. Baillard termina sa phrase pour elle.
— Fut écrit par votre oncle, dit-il en souriant devant son air étonné. Je connais ce livre.
— Vous l’avez lu ?
Il acquiesça d’un hochement de tête. Léonie poussa un soupir de soulagement.
— L’auteur, c’est-à-dire mon oncle, parle de musique tissée dans la trame du monde corporel. Certaines notes pourraient, selon lui, invoquer les esprits. Et les cartes de tarot associées à la musique ainsi qu’au lieu lui-même par leurs images prendraient vie durant cette brève communication entre les mondes… Mon oncle mentionne également un tombeau, situé dans ces terres, ainsi qu’un événement qui s’y serait déroulé autrefois… Avez-vous entendu parler de ce genre d’expériences, monsieur Baillard ? demanda-t-elle en relevant la tête.
Il croisa ses yeux verts sans ciller.
— Oui.
Avant d’engager la conversation, elle n’était pas certaine de vouloir lui révéler son expédition, mais sous son œil avisé, interrogateur, elle s’aperçut qu’elle ne pouvait plus déguiser sa pensée.
— J’ai… Je l’ai trouvé, dit-elle. Il est caché là-haut dans les bois, à l’est.
Léonie tourna son visage enflammé vers les fenêtres ouvertes. Soudain elle eut envie d’être dehors, loin des bougies, de la conversation, de l’air confiné qui régnait dans la pièce surchauffée. Alors elle frissonna, comme si une ombre s’était avancée derrière elle.
— Moi aussi je le connais, dit-il. Et vous avez une question à me poser, je présume ? ajouta-t-il après un temps d’attente, comme elle ne disait rien.
Léonie se tourna face à lui.
— Il y avait une inscription sur la voûte au-dessus de l’entrée du sépulcre.
Elle restitua du mieux qu’elle put les consonances qui lui étaient étrangères.
— Aïci lotems s’en, va res l’Eternitat.
Il sourit.
— Vous avez une bonne mémoire, madomaisèla.
— Qu’est-ce que cela signifie ?
— Pour l’essentiel, cela signifie « Ici, en ces lieux, le temps s’en va vers l’Éternité ».
Un instant leurs yeux se croisèrent. Ceux de Léonie, un peu brumeux et enfiévrés à cause de la blanquette, et les siens, calmes et pénétrants. Alors il sourit.
— Vous me rappelez beaucoup une jeune fille que j’ai connue, madomaisèla Léonie.
— Que lui est-il arrivé ? s’enquit-elle, un instant distraite de ses préoccupations.
Il ne répondit pas, mais elle vit qu’il se souvenait.
— Oh, c’est une autre histoire, dit-il enfin, avec douceur. Qui ne peut encore se raconter.
Léonie le vit se retirer en lui-même, drapé dans ses souvenirs. Sa peau, soudain, sembla transparente, et les rides de son visage plus profondes, comme
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