Sépulcre
rejoignes.
— Oc, Sénher Baillard.
Il embrassa sa femme et sortit du salon.
Pendant un moment, personne ne parla. Puis l’urgence de la situation s’imposa à nouveau et ils se ressaisirent.
— Léonie, n’emportez que le strict nécessaire. Marieta, va prendre le sac de voyage et les fourrures de madama Léonie. Le trajet sera long et il fait froid.
Marieta ravala un sanglot.
— Dans mon sac de voyage, Marieta, tu trouveras un petit portefeuille, à l’intérieur de ma boîte à ouvrage. Des aquarelles, environ grandes comme ça. (Léonie mima la taille d’un missel.) Emporte la boîte à ouvrage. Mets-la en sécurité. Mais rapporte-moi ce portefeuille, veux-tu ?
Marieta hocha la tête et s’élança dans le vestibule.
Léonie attendit qu’elle fut partie avant de se tourner vers M. Baillard.
— Ce n’est pas votre combat non plus, Audric.
— Sahjë, fit-il doucement. Mes amis m’appellent Sahjë.
Elle sourit, honorée de cette confidence inattendue.
— Très bien, Sahjë. Vous m’avez dit, il y a plusieurs années, que c’étaient les vivants et non les morts qui auraient le plus besoin de mes services. Vous vous en souvenez ? (Elle jeta un coup d’œil au petit garçon.) Il n’y a plus que lui qui compte, maintenant. Si vous l’emmenez, je saurai que je n’ai pas manqué à mon devoir.
Il sourit.
— L’amour – le véritable amour – dure à jamais, Léonie. Votre frère, Isolde et votre mère le savaient. Vous ne les avez pas perdus.
Léonie se souvint des paroles d’Isolde alors qu’elles étaient assises ensemble sur le banc de pierre du promontoire, au lendemain de leur grand dîner au Domaine de la Cade. Léonie l’ignorait à ce moment-là, mais c’était de son amour pour Anatole qu’elle parlait ainsi. Un amour si grand que, sans lui, la vie d’Isolde eût été intolérable. Léonie aurait voulu connaître, elle aussi, un amour aussi fort.
— Je veux que vous me donniez votre parole d’emmener Louis-Anatole à Los Seres. (Elle se tut un instant.) De plus, s’il vous arrivait malheur, je ne me le pardonnerais pas.
Il secoua la tête.
— Mon heure n’est pas venue, Léonie. J’ai encore beaucoup à faire avant qu’il me soit permis d’entreprendre ce voyage.
Elle contempla le mouchoir jaune familier, enfoncé dans la poche de sa veste.
Marieta reparut dans l’embrasure de la porte, portant à la main les vêtements d’hiver de Louis-Anatole.
— Viens, pichon, dit-elle. Allez, vite.
Le petit garçon lui obéit et se laissa vêtir. Puis, soudain, il se précipita dans le vestibule.
— Louis-Anatole ! lui lança Léonie.
— Je dois aller chercher quelque chose, s’écria-t-il, reparaissant l’instant d’après avec une partition. Il ne faudrait pas qu’on manque de musique, là où on va, affirma-t-il en scrutant les visages graves des adultes. En tout cas, pas moi.
Léonie s’accroupit devant lui.
— Tu as bien raison, mon petit.
— Même si je ne sais pas où on va, balbutia-t-il.
À l’extérieur, un cri s’éleva. Un cri de guerre. Léonie se redressa aussitôt. La petite main de son neveu se glissa dans la sienne. Aiguillonnés par la peur des ténèbres et de tout ce qui rôdait dans la nuit en cette veille de Toussaint, les hommes armés de flambeaux, de gourdins et de carabines s’avançaient vers la maison.
— Nous y voilà, dit Baillard. Courage, Léonie.
Ils se regardèrent. Lentement, comme à regret, il lui remit le jeu de tarot.
— Vous vous rappelez les écrits de votre oncle ?
— Parfaitement.
Il eut un petit sourire.
— Même si vous m’avez fait croire que vous aviez replacé le livre dans la bibliothèque sans jamais le relire ? la tança-t-il doucement.
Léonie rougit.
— Je l’ai peut-être consulté à une ou deux reprises.
— C’est peut-être pour le mieux. Les vieux ne sont pas toujours sages. (Il se tut un instant.) Mais vous comprenez que votre sort est lié à ceci ? Si vous décidez d’insuffler la vie aux tableaux, si vous convoquez le démon, vous savez qu’il vous emportera, vous aussi ?
La peur étincela dans les yeux verts de Léonie.
— Je le sais.
— Très bien.
— Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi le démon Asmodée n’a pas emporté mon oncle.
Baillard haussa les épaules.
— Le mal attire le mal. Votre oncle ne souhaitait pas payer son acte de sa vie et il a combattu le démon. Mais il en est resté à jamais
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