Sépulcre
sœur, Léonie.
— Charles Denarnaud, à votre service, répliqua l’homme en tapotant son chapeau. Vous séjournez à Couiza ? Dans ce cas, je serais ravi de…
Un coup de sifflet strident l’interrompit.
— En voiture ! Les voyageurs pour Quillan et Espéranza, en voiture ! cria le chef de gare.
— Non, pas à Couiza même, répondit Anatole en hurlant presque par-dessus le rugissement de la chaudière. Mais tout près. À Rennes-les-Bains.
— Ma ville natale ! s’exclama Denarnaud avec un large sourire.
— Ah oui ? Nous résidons au Domaine de la Cade. Vous connaissez ?
Éberluée, Léonie fixait Anatole. Lui qui avait tant insisté pour qu’ils fassent preuve de la plus grande discrétion, voilà qu’il étalait leur vie privée à un complet inconnu, sans réfléchir.
— Domaine de la Cade. Oui, je connais, répondit Denarnaud d’un ton circonspect.
La machine lâcha un énorme jet de vapeur dans un bruit assourdissant. Léonie recula en sursautant et Denarnaud remonta d’un bond à bord du train.
— Merci encore pour votre obligeance, lança Anatole.
Denarnaud se pencha à la fenêtre et les deux hommes échangèrent leurs cartes, puis se serrèrent la main tandis que le quai disparaissait dans un nuage de vapeur.
— Il a l’air d’un chic type, dit Anatole en reculant enfin.
— Tu disais que nous devions garder nos projets pour nous, déclara-t-elle, les yeux étincelants de colère.
— Simple politesse, il n’y a rien de mal à ça, répliqua Anatole.
L’horloge de la gare se mit à sonner.
— Alors nous sommes toujours en France, semble-t-il, commença Anatole d’un air guilleret, puis il s’interrompit en voyant son regard. Mais qu’est-ce qui se passe ? Ai-je fait ou dit quelque chose qui t’a déplu ?
— Je suis de mauvaise humeur et j’ai chaud, soupira Léonie. Je me suis ennuyée, toute seule. Et puis tu m’as laissée à la merci de ce gêneur.
— Tu es bien sévère. Moi, je l’ai trouvé plutôt sympathique, ce Denarnaud, rétorqua-t-il en lui pressant la main. Mais je te demande pardon. C’est vrai, je me suis endormi. Quel crime odieux !
Léonie fit la moue.
— Allons nous restaurer, sœurette, dit-il en l’entraînant. Tu te sentiras mieux après.
20.
Le soleil les frappa de plein fouet à l’instant où ils sortirent de l’ombre de la gare tandis qu’un vent tournoyant leur jetait au visage des nuages de sable et de poussière brune. Léonie se débattit avec le fermoir de sa toute nouvelle ombrelle.
Pendant qu’Anatole s’occupait de leurs bagages avec le porteur, elle regarda alentour. Elle n’avait jamais voyagé si loin de Paris et de sa banlieue. En fait, ses expéditions ne l’avaient pas menée au-delà de Chartres ou des bords de Marne où ils allaient pique-niquer étant enfants. C’était la France, bien sûr, mais une France si différente… Léonie reconnaissait certains panneaux indicateurs ainsi que des affiches publicitaires pour des apéritifs, du cirage, du sirop pour la toux, mais pour le reste, c’était un autre monde.
Le hall de gare débouchait sur une petite rue animée bordée de larges tilleuls, où vaquait une population de femmes à la peau brune, de cheminots, de rouliers, de gosses des rues crasseux en culottes courtes. Un homme en veste d’ouvrier, sans gilet, une miche de pain sous le bras, en croisait un autre en costume noir, les cheveux coupés court, qui avait l’allure d’un professeur d’école. Une charrette roulait, chargée de sacs de charbon et de petit bois. Léonie avait l’étrange impression d’être ramenée dans l’ancien temps et projetée par hasard dans l’univers des Contes d’Hoffmann d’Offenbach.
— D’après ce qu’on m’a dit, il y aurait un restaurant convenable sur l’avenue de Limoux, dit Anatole en réapparaissant avec sous le bras La Dépêche de Toulouse, le journal local. Il y a aussi un bureau avec télégraphe, téléphone, et même un service de poste restante. À Rennes-les-Bains également, paraît-il, ainsi nous ne serons pas complètement coupés de la civilisation. Quant à trouver une voiture, il ne faut pas trop y compter, surtout pas un dimanche et si tard dans la saison, ajouta-t-il en grattant une allumette après avoir tassé sa cigarette sur son étui.
Le Grand Café Guilhem se trouvait de l’autre côté du pont. Quelques tables étaient disposées en terrasse à l’ombre d’un grand auvent qui faisait toute
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