Sépulcre
la longueur du restaurant. Des caisses et des pots en terre cuite garnis d’arbustes et de géraniums formaient une haie de verdure qui protégeait l’intimité des clients.
— Je doute qu’il y ait des salons privés, mais la terrasse m’a l’air convenable. Ça te va ?
On les escorta jusqu’à une table bien située. Anatole commanda pour eux deux et se mit à discuter avec le patron, tandis que Léonie promenait son regard à la ronde. Des rangées de platanes à l’écorce mouchetée, plantés au passage de Napoléon, donnaient de l’ombre à la rue. Elle fut surprise de constater qu’en plus de l’avenue de Limoux, les rues voisines étaient elles aussi bitumées. Cela venait sans doute de la proximité de la station thermale, très fréquentée, et de la forte circulation de voitures publiques ou privées qui en découlait au plus fort de la saison.
Dès qu’ils furent assis, le serveur s’empressa d’apporter un plateau de boissons, une carafe d’eau fraîche, un grand verre de bière pour Anatole et un pichet de vin du pays. Puis ce fut le déjeuner, simple, mais qu’ils trouvèrent tout à fait convenable, et même assez bon : œufs mimosa, galantine et charcuteries, aspic de volaille, fromage du pays. À un moment, Léonie s’absenta pour aller aux toilettes, et quand elle revint dix minutes plus tard, Anatole était en grande conversation avec leurs voisins de table, un monsieur d’âge mûr, dans un habit très strict de banquier ou d’homme de loi, face à un jeune homme blond à la moustache fournie.
— Dr Gabignaud, maître Fromilhague, j’ai le plaisir de vous présenter ma sœur, Léonie, dit Anatole.
Les deux hommes se levèrent à demi pour la saluer.
— Le Dr Gabignaud me parlait de Rennes-les-Bains, où il exerce comme médecin, expliqua Anatole, tandis que Léonie se rasseyait. Vous disiez que vous aviez été l’assistant du Dr Courrent pendant trois ans ?
— En effet, confirma Gabignaud. Nos thermes sont les plus anciens de la région. En outre, grâce à la variété de nos sources, nous pouvons traiter un spectre de symptômes et de pathologies beaucoup plus large que les autres établissements. Il y a par exemple la source du Bain Fort, une eau à cinquante-deux degrés…
— Inutile de leur donner tous les détails, Gabignaud, grommela Fromilhague.
— C’est juste, convint le médecin en rougissant. Si j’ai pu comparer, c’est que j’ai eu l’occasion de visiter d’autres stations thermales. J’ai même eu l’honneur de passer quelques semaines de formation sous l’égide du Dr Privat, à Lamalou-les-Bains.
— Lamalou ? Ce nom-là ne me dit rien, remarqua Léonie.
— Vous me surprenez, mademoiselle Vernier. C’est une charmante ville d’eaux, fondée elle aussi par les Romains. Elle se trouve juste au nord de Béziers. Évidemment, ajouta-t-il en baissant la voix, l’atmosphère y est un peu sinistre. Dans les cercles médicaux, elle est surtout réputée pour traiter des patients atteints d’ataxie.
M e Fromilhague tapa du poing sur la table, ce qui fit sursauter Léonie et trembler les tasses de café.
— Gabignaud, vous vous oubliez, mon cher !
Le jeune médecin devint écarlate.
— Pardonnez-moi, mademoiselle Vernier. Je ne voulais pas vous offenser.
— Rassurez-vous, Dr Gabignaud, je n’en ai pas pris ombrage, répondit Léonie, déconcertée, en jetant à maître Fromilhague un regard froid.
Quant à Anatole, visiblement, il se retenait d’éclater de rire.
— Enfin, Gabignaud, ce n’est pas une conversation à tenir devant une dame !
— Évidemment, pardonnez-moi, bredouilla le docteur. L’intérêt que je porte à la médecine me fait parfois oublier que de tels sujets…
— Vous êtes venus à Rennes-les-Bains pour suivre une cure ? demanda Fromilhague d’un ton courtois.
— Non, répondit Anatole. En fait, nous allons séjourner quelque temps chez notre tante, dans sa propriété située aux abords de la ville. Le Domaine de la Cade.
Léonie vit passer dans les yeux du docteur une drôle de lueur. De surprise ou d’inquiétude ?
— Chez votre tante ? dit-il d’un air si troublé que Léonie se mit à le scruter.
— Plus précisément, il s’agit de l’épouse de notre défunt oncle, expliqua Anatole, à qui l’embarras de Gabignaud n’avait pas échappé. Jules Lascombe était le demi-frère de ma mère. Quant à notre tante, nous n’avons pas encore eu le plaisir de
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