Sépulcre

faire sa connaissance.
    — Quelque chose ne va pas, Dr Gabignaud ? s’enquit Léonie, intriguée.
    — Non, non. Aucunement. Pardonnez-moi… J’ignorais que Jules Lascombe avait de proches parents. Il vivait retiré, et il n’a jamais évoqué sa famille… Pour être franc, mademoiselle Vernier, nous avons tous été très surpris quand il a pris la décision de se marier sur le tard. Lascombe avait tout du célibataire endurci. Et prendre femme quand votre maison jouit d’une réputation aussi mauvaise, eh bien…
    — Une mauvaise réputation ?
    Mais Anatole changea de sujet.
    — Vous connaissiez Lascombe, Gabignaud ?
    — Disons que nous nous étions rencontrés. Ils passaient l’été ici, durant les premières années de leur mariage. Par ailleurs M me Lascombe préférait vivre en ville, et il lui arrivait régulièrement de quitter le domaine pour un ou deux mois.
    — Vous n’étiez pas le médecin de famille de Lascombe ?
    — Non, je n’avais pas cet honneur. Son médecin traitant était à Toulouse. Jules Lascombe était en mauvaise santé depuis bien des années. Pourtant sa fin a été plus précipitée qu’on n’aurait pu s’y attendre. C’est le froid terrible du début de l’année qui l’a provoquée. Quand il s’est avéré qu’il ne s’en remettrait pas, début janvier, votre tante est rentrée au Domaine de la Cade. Lascombe est mort quelques jours plus tard. Bien sûr, certaines rumeurs ont prétendu qu’il était mort de…
    — Gabignaud ! l’interrompit Fromilhague. Tenez donc votre langue !
    Le jeune médecin rougit violemment tandis que Fromilhague, outré, mettait brusquement fin à la conversation en appelant le serveur. Il insista pour que celui-ci lui rende compte point par point de l’addition, manière d’empêcher toute reprise du dialogue entre les deux tables.
    Anatole laissa un généreux pourboire. Quant à Fromilhague, il jeta un billet sur la table et se leva.
    — Mademoiselle Vernier, monsieur Vernier, dit-il, ôtant son haut-de-forme en guise de salut. Venez, Gabignaud. Nous avons des affaires à régler.
    À la surprise de Léonie, le médecin le suivit sans dire un mot.
    — Pourquoi est-il si inconvenant de parler de Lamalou ? demanda Léonie dès qu’ils furent hors de portée de voix. Et pourquoi le Dr Gabignaud permet-il à M e  Fromilhague de le malmener de la sorte ?
    — Lamalou est connue pour ses traitements de la syphilis, ou ataxie. Elle est à l’avant-garde de la recherche dans ce domaine, répondit Anatole avec une petite moue ironique. Quant aux relations qui unissent ces deux compères, j’imagine que Gabignaud a besoin de la protection de M e Fromilhague. Dans une petite ville comme celle-ci, l’appui des notables fait toute la différence, la réussite ou la faillite d’un cabinet de médecin en dépendent. Lamalou-les-Bains ! Je vous demande un peu ! ajouta-t-il avec un petit rire.
    Léonie restait pensive.
    — Mais pourquoi le Dr Gabignaud a-t-il été si surpris quand je lui ai dit que nous allions séjourner au Domaine de la Cade ? Et qu’entendait-il en disant de la maison qu’elle avait une mauvaise réputation ?
    — Gabignaud parle trop et Fromilhague désapprouve les commérages. Voilà tout.
    — Non, ce n’est pas tout, objecta Léonie. Maître Fromilhague l’a délibérément empêché de parler.
    Anatole haussa les épaules.
    — Fromilhague a manifestement un tempérament sanguin et colérique. Voir Gabignaud jacasser comme une femme aura suffi à l’exaspérer, voilà tout.
    — Goujat ! s’écria Léonie, piquée au vif, en lui tirant la langue.
    Anatole s’essuya la moustache, jeta sa serviette sur la table, puis se leva.
    — Nous avons du temps devant nous. Allons donc découvrir Couiza et ses charmes insoupçonnés.

21.
    Paris
     
    À Paris, la frénésie de la matinée avait cédé la place au calme plat. Tous les petites gens et commerçants montés du 8 e arrondissement, les marchands de quatre-saisons, les mendiants qui rôdaient toujours dans les marchés ouverts, avaient disparu, laissant un air chargé de poussière, de relents de fruits et de légumes pourris, et des trottoirs jonchés de détritus.
    Rue de Berlin, le silence régnait aussi dans l’appartement de la famille Vernier, baigné d’une lumière bleutée en ce milieu d’après-midi où le soleil commençait à décliner. Les meubles étaient recouverts de housses blanches. Les longues fenêtres du