Sépulcre

Ne pas les trahir en les livrant à cet homme. Mais comment ? Il fallait l’amadouer, lui donner quelque chose en pâture.
    — À Rouen, souffla-t-elle entre ses lèvres tuméfiées. Ils sont partis à Rouen.

22.
    Rennes-les-Bains
     
    À quatre heures moins le quart, après avoir visité Couiza et ses modestes curiosités, Léonie et Anatole rejoignirent le parvis de la gare pour monter à bord du courrier public.
    Contrairement aux voitures que Léonie avait vues circuler dans Carcassonne, rappelant un peu les landaus qui déambulaient dans le bois de Boulogne avec leurs capotes relevées et leurs sièges en cuir noir, le courrier était un mode de transport bien plus rustique. En fait, il ressemblait fort à une charrette de ferme : on s’asseyait sur les deux bancs de bois peints en rouge qui jouxtaient les flancs de la voiture sous un auvent de toile noire fixé à une armature en métal, censé abriter les passagers du soleil.
    Les chevaux, gris tous les deux, avaient sur les oreilles et les yeux des franges de broderie blanche qui les protégeaient du harcèlement des insectes.
    Les autres passagers comptaient un monsieur âgé et son épouse beaucoup plus jeune, venus de Toulouse, ainsi que deux dames, des sœurs selon toute vraisemblance, qui pépiaient d’une voix flûtée sous leurs chapeaux.
    Léonie se réjouit de voir que le Dr Gabignaud, leur voisin de table du Grand Café Guilhem, était aussi du voyage. Cependant, tandis que le cocher chargeait les bagages, maître Fromilhague se l’appropria avec un soin jaloux tout en tirant régulièrement sa montre de la poche de son gilet pour vérifier l’heure.
    — Cet homme a visiblement des affaires pressantes, murmura Anatole. S’il ne tenait qu’à lui, il se serait déjà emparé des rênes pour faire partir les chevaux.
    Dès que chacun fut installé, le cocher grimpa sur la cabine pour se camper jambes écartées sur l’amoncellement de valises et de malles et, de là, surveiller l’horloge encastrée au fronton de la gare. Quand elle frappa la demi-heure, il fit claquer son fouet et la voiture s’ébranla.
    Peu de temps après, ayant laissé Couiza derrière eux, ils roulaient sur la grand-route le long d’une rivière en direction de l’ouest, entre de hautes collines. Le climat rigoureux de vents violents et d’averses dont la France avait souffert une grande partie de l’année avait ici créé un Éden. Au lieu d’une terre brûlée par le soleil, c’était une vallée verdoyante avec des prairies à l’herbe grasse. Sur les flancs des collines s’étendaient d’épaisses forêts où se côtoyaient sapins, chênes verts, noisetiers, châtaigniers. Perché sur une hauteur à leur gauche, un château en ruine se profilait. Un vieil écriteau en bois planté sur le bas-côté de la route indiquait qu’il s’agissait du village de Coustaussa.
    Gabignaud était assis à côté d’Anatole et lui signalait les principaux repères du paysage. À cause du roulement des roues et du cliquetis des harnais, Léonie ne percevait leur conversation que par bribes.
    — Et ça ? demanda Anatole en désignant bien au-dessus de la route un minuscule hameau accroché au flanc escarpé de la montagne, qui scintillait dans la chaleur torride de l’après-midi.
    — Rennes-le-Château, répondit Gabignaud. À le voir, on ne le croirait pas, mais c’était jadis l’ancienne capitale wisigothe de la région, Rhedae.
    — Et qu’est-ce qui a provoqué son déclin ?
    — Charlemagne, la croisade contre les Albigeois, des bandits venus d’Espagne, la peste, la marche impitoyable de l’Histoire. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un petit village de montagne oublié, qui vit dans l’ombre de Rennes-les-Bains. Cela dit, le curé qui y exerce fait beaucoup pour ses paroissiens. C’est un personnage.
    — Qu’a-t-il donc de si spécial ? s’enquit Anatole en se penchant pour mieux entendre.
    — C’est un érudit, un homme volontaire, manifestement ambitieux, ce qui ne manque pas d’intriguer les gens du pays. Pour quelles raisons est-il venu s’enterrer dans une paroisse aussi pauvre ? Mystère.
    — Peut-être pense-t-il que c’est ici qu’il peut être le plus efficace ?
    — Pour ça, le village l’apprécie. Il fait du bon travail.
    — Sur quel plan, matériel ou spirituel ?
    — Les deux. Par exemple, l’église de Sainte-Marie-Madeleine était toute délabrée quand il est arrivé. La pluie passait à travers