Sépulcre
au champagne en plus doux, plus léger, plus rafraîchissant, à mon avis. J’avoue y avoir pris goût.
— Volontiers, dit Léonie en acceptant le verre qu’Anatole lui tendait. Je me suis plongée dans l’ouvrage de M. Baillard. Ensuite, c’est le trou noir. Quand j’ai émergé, Marieta frappait à la porte et il était 9 heures et demie.
— Ce livre est-il soporifique à ce point ? demanda Anatole en riant.
— Bien au contraire. Il est fascinant. Le Domaine de la Cade, ou plutôt le site qu’occupent aujourd’hui le domaine et la maison, a longtemps inspiré bon nombre de superstitions et de légendes locales. Fantômes, démons, esprits errant la nuit… La plupart de ces récits parlent d’une noire créature, mi-démon, mi-bête, qui aurait terrorisé le pays dans les temps difficiles en s’emparant d’enfants et de bétail.
Anatole et Isolde échangèrent un regard, tandis que Léonie poursuivait.
— D’après Baillard, c’est la raison pour laquelle tant de lieux-dits de la région portent des noms se référant à ce passé surnaturel. Il rapporte une légende parlant d’un lac de la montagne Tabe, l’étang du Diable, dont on dit qu’il communique avec l’enfer. Si l’on y jette une pierre, des nuages de gaz sulfureux s’élèvent de l’eau, provoquant de violentes tempêtes. Durant l’été 1840, qui fut particulièrement sec, un meunier du village de Montségur qui désespérait d’avoir de la pluie grimpa en haut de la montagne de Tabe, et il jeta un chat vivant dans le lac. L’animal se débattit si violemment que le Diable, exaspéré, fit pleuvoir sur les montagnes durant les deux mois qui suivirent sans discontinuer.
Anatole s’étira en allongeant le bras sur le dossier du canapé. Un bon feu crépitait dans l’âtre.
— Quelles balivernes ! s’exclama-t-il affectueusement. Je regrette presque d’avoir mis un livre pareil entre tes mains.
Léonie fit la moue.
— Tu peux te moquer, mais ces histoires reposent toujours sur un fond de vérité.
— Bien répondu, Léonie, renchérit Isolde. Mon défunt mari s’intéressait beaucoup aux légendes associées au Domaine de la Cade. Sa passion s’attachait en particulier à la période wisigothe, mais M. Baillard et lui dissertaient parfois jusque tard dans la nuit sur toutes sortes de sujets. Le curé de Rennes-le-Château, notre village frère, se joignait parfois à eux.
Léonie eut soudain une vision des trois hommes penchés sur des livres savants, et elle se demanda si Isolde n’avait pas souffert de se trouver si souvent exclue.
— L’abbé Saunière, renchérit Anatole. Gabignaud nous en a parlé durant le trajet, quand nous sommes venus de Couiza cet après-midi.
— Cela dit, poursuivit Isolde, Jules gardait une sorte de réserve quand il était en compagnie de M. Baillard.
— Pourquoi ça ?
— Oh, je ne saurais moi-même l’expliquer, répondit Isolde en agitant une blanche main. Il avait un grand respect pour son âge et son savoir, mais ses enseignements lui inspiraient une sorte de crainte révérencieuse.
Anatole remplit leurs verres, puis sonna pour faire apporter une autre bouteille.
— Vous dites que Baillard est de la région ?
— Oui, il possède un logement à Rennes-les-Bains, mais sa résidence principale est ailleurs. Dans le Sabarthès je crois. C’est un homme remarquable, mais très secret. Il demeure assez peu loquace sur ses expériences passées et ses intérêts sont très étendus. En plus du folklore et des coutumes locales, c’est aussi un historien spécialiste de l’hérésie albigeoise, ajouta Isolde avec un petit rire. Pour tout dire, Jules m’a confié un jour qu’à entendre Baillard, on jurerait qu’il a assisté en personne à certaines de ces batailles médiévales, tant les descriptions qu’il en fait sont saisissantes.
Cela les fit sourire.
— Ce n’est pas la meilleure époque de l’année, mais vous aimeriez peut-être visiter certaines de ces anciennes places fortes tombées en ruine ? demanda Isolde à Léonie. Si le temps le permet.
— Oh oui, j’en serais ravie.
— Je vous placerai près de M. Baillard au dîner de samedi, afin que vous puissiez le questionner tout votre soûl sur ce qui touche aux diableries, superstitions et légendes de ces montagnes.
Léonie acquiesça en silence, la tête encore pleine des récits de Baillard. Anatole aussi restait silencieux. Au fil de la conversation, l’ambiance
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