Sépulcre
de l’éventuel séjour de Lilly Debussy en cette ville lui avait servi de prétexte pour y venir, elle comptait aussi profiter elle-même de la station, après avoir lu de vieux articles et vu des photographies datant du début du siècle, quand Rennes-les-Bains était l’une des villégiatures les plus en vogue de la région.
À présent, face aux portes closes de la station thermale, elle n’aurait pas accès aux fichiers ni aux archives prouvant que Lilly y avait été envoyée en convalescence durant l’été 1900, et n’obtiendrait aucun indice sur le jeune homme en uniforme.
Peut-être parviendrait-elle à persuader la mairie, ou quelque responsable, de la laisser entrer, mais elle n’y comptait pas trop. Furieuse contre elle-même de s’être montrée si imprévoyante, Meredith s’en retourna vers la rue.
Un sentier longeait les thermes en partant sur la droite, nommé l’allée des Bains de la Reine. Elle le suivit jusqu’à la berge de la rivière en resserrant sur elle son blouson, car un vent mordant s’était levé. Elle passa devant une grande piscine vidée de son eau. Sur la terrasse déserte régnait un air d’abandon. Le carrelage bleu effrité, le ponton badigeonné de rose qui s’écaillait, des fauteuils de repos en plastique blanc démantibulés. Il était difficile d’imaginer la piscine en activité.
Elle poursuivit son chemin. La berge n’était guère plus engageante d’aspect, elle lui fit penser aux terrains boueux et marqués de traces de pneus au lendemain d’une fête d’avant match. Le sentier était bordé de bancs en fer tordus, il y avait aussi une pergola rouillée et bringuebalante en forme de couronne au-dessus d’un banc en bois, qui semblait n’avoir accueilli personne depuis des années. Levant les yeux, Meredith vit deux crochets métalliques, sans doute destinés à fixer une sorte de pare-soleil. Un décor un peu déprimant.
Cédant à la force de l’habitude, elle sortit pourtant son appareil photo de son sac et le régla en fonction de la faible luminosité avant de prendre quelques clichés, en doutant du résultat. Elle essaya de se figurer Lilly assise sur l’un de ces bancs, en chemisier blanc, jupe noire et capeline, rêvant de Debussy et de Paris. Puis son soldat couleur sépia, se promenant sur la berge avec, qui sait, une fille à son bras. En vain. Cet endroit ne favorisait pas l’inspiration. Négligé, abandonné, il était resté en rade, hors de la marche du monde.
Avec un peu de vague à l’âme, nostalgique d’un passé qu’elle n’avait pas connu, Meredith chemina lentement sur la berge. Elle suivit le cours de la rivière jusqu’à une passerelle en béton. Elle hésita avant de traverser. L’autre rive était plus sauvage d’aspect, et manifestement peu fréquentée. Ce n’était pas très malin de traîner dans une ville étrangère seule, avec un ordinateur et un appareil photo dans son sac.
Et puis il commence à faire sombre, songea-t-elle.
Mais Meredith ressentit comme un appel qui la poussait à continuer. L’esprit d’aventure, supposa-t-elle. Elle avait envie de pénétrer la ville et ses secrets sous la simple apparence des lieux, d’accéder à ce qui s’y trouvait depuis des centaines d’années, au lieu de se contenter de la grand-rue dans son état actuel, avec ses cafés, ses voitures. Autant profiter de son bref séjour ici pour voir si, en vérité, un lien particulier l’unissait à cette ville. Après avoir passé la bandoulière de son sac par-dessus sa tête pour la croiser sur sa poitrine, elle traversa.
L’atmosphère était différente, de l’autre côté du pont. Le paysage au-delà lui semblait plus proche de ce qu’il devait être à l’origine, moins influencé par les gens et les modes. Le flanc escarpé de la colline se dressait devant elle, comme sorti de terre. Les teintes vertes, brunes et cuivrées des bois et des fourrés prenaient les riches nuances du crépuscule. Pourtant, malgré sa beauté, il lui manquait quelque chose. Une sorte de profondeur, comme s’il n’était qu’à deux dimensions, comme si son véritable caractère était caché sous une façade peinte en trompe l’œil.
Dans l’obscurité grandissante, Meredith avança prudemment à travers les fourrés de ronces, les herbes couchées et les déchets apportés par le vent. Une voiture passa sur le pont routier au-dessus, et ses feux projetèrent fugitivement deux trouées de lumière sur les
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