Sépulcre
cessé d’exister dès l’instant où il avait compris qu’il n’obtiendrait d’elle rien de plus, et la présence de la morte le laissait de marbre.
À part le tic-tac de la pendule posée sur le dessus de la cheminée et le rond de lumière tremblotant projeté par l’unique bougie, tout n’était que silence et obscurité.
Rajustant son pantalon, Constant alluma une cigarette turque, puis il s’assit à la table pour examiner le journal que son valet avait trouvé dans la chambre de Vernier, à son chevet.
— Apporte-moi un cognac.
De son couteau, un Nontron à manche jaune, Constant coupa le cordon qui retenait l’enveloppe de papier brun paraffiné et en sortit un carnet de poche bleu roi. Le journal tenait le rapport détaillé des activités de Vernier au jour le jour durant l’année : les salons qu’il avait fréquentés, la liste de ses dettes, soigneusement établies sur deux colonnes et biffées quand il les avait réglées ; ses relations épisodiques avec un cercle d’occultistes durant les premiers mois de l’année, en tant qu’acheteur de livres plutôt qu’adepte ; des achats, tels qu’un parapluie et une édition limitée de Cinq Poèmes acquise à la librairie Edmond Bailly, dans la rue de la Chaussée-d’Antin.
Tous ces détails domestiques n’intéressaient pas Constant et il feuilleta rapidement le carnet en quête de dates ou de références susceptibles de lui fournir les informations souhaitées.
Il cherchait des détails, des indices, sur la liaison de Vernier avec la seule femme qu’il ait jamais aimée, et dont il ne pouvait toujours pas se résoudre à évoquer le nom. Le 31 octobre de l’année précédente, elle lui avait annoncé qu’il fallait mettre un terme à leur relation, jusque-là tout à fait honorable, car il avait pris ses réticences pour de la pudeur et n’avait exercé sur elle aucune pression. Sous le choc, il avait été envahi d’une telle rage qu’il l’aurait tuée, si ses cris n’avaient alerté les voisins de l’immeuble d’à côté.
Finalement, il l’avait laissée partir, sans chercher à lui faire du mal. Il l’aimait, l’adorait. Mais elle l’avait trahi, et c’était plus qu’il n’en pouvait supporter.
Après cette nuit-là, elle avait disparu de Paris.
Novembre, décembre avaient passé. Il ne cessait de penser à elle. C’était simple. Il l’aimait et, en retour, elle l’avait trompé. Son corps, son esprit lui renvoyaient sans relâche les souvenirs amers des moments qu’ils avaient passés ensemble, son parfum, la grâce de son maintien, son calme quand elle s’asseyait auprès de lui, sa gratitude pour l’amour qu’il lui portait. Pudique, obéissante, elle avait pour lui toutes les qualités. Alors, devant sa traîtrise, l’humiliation revenait, plus forte que jamais, et avec elle, la colère.
Pour l’effacer de sa mémoire, Constant avait trouvé refuge dans les passe-temps ordinaires d’un élégant aux poches pleines. Salles de jeu, clubs, plus du laudanum, pour contrebalancer les effets des doses de mercure toujours plus fortes qu’il devait prendre afin de soulager les symptômes de sa maladie, qui ne faisait qu’empirer. Il avait collectionné les aventures sans lendemain, avec des midinettes à la peau douce qui avaient l’air de putains à côté d’elle, et à qui il faisait payer dans leur chair sa déloyauté. D’une beauté frappante, il savait aussi se montrer généreux et possédait le charme nécessaire pour séduire, amadouer. Les filles étaient assez complaisantes, tant qu’elles n’avaient pas découvert la nature de ses appétits.
Tout cela ne lui avait apporté aucun répit, ni apaisé son angoisse.
Durant trois mois, Constant avait survécu sans elle. Pourtant, fin janvier, tout changea. La Seine commençait son dégel quand une rumeur lui parvint que, devenue veuve, elle était rentrée à Paris, mais surtout, qu’elle avait un amant. Qu’elle avait donné à un autre ce qu’elle lui avait toujours refusé.
Dès lors, il fut possédé du besoin irrépressible de se venger et n’eut plus qu’un seul but, châtier cette perfide. Il l’imaginait, tombée entre ses mains et payant de ses souffrances tous les tourments qu’elle lui avait infligés. Il n’eut aucun mal à découvrir le nom de son rival, et cette idée devint une obsession. De l’instant où il ouvrait les yeux à la tombée de la nuit, il pensait aux deux amants, et c’était la
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