Serge Fiori : s'enlever du chemin

un maigre budget de soixante dollars. C’est un long
périple de quatre jours à la suite duquel ils arrivent épuisés
devant la maison où les accueillent Libert et leurs hôtes.
    Le premier jour, ils se rendent à la propriété, au temple.
Il s’agit de la maison qu’a habitée Yogananda durant près
de quarante ans. Une maison qui produit tout un choc sur
Fiori, qui y ressent une intense émotion   ; les murs, les plafonds, tout lui fait ressentir une immense paix, un grand
calme qu’il n’a connu nulle part ailleurs. Il se sent bouleversé et tremble de tous ses membres. Tant de paix, de
quiétude et de sérénité, c’est particulièrement déstabilisant   ! Les moines qui les accueillent ont l’habitude. Posant
les mains sur les épaules de leurs invités, ils les calment
et les ramènent doucement sur terre. Une simple tournée
des lieux équivaut, pour les visiteurs, à six mois de pratique
méditative. La gourou que Yogananda a formée avant de
trépasser, dans les années 1950, rassemble tous les adeptes pour une session de méditation. Ils sont plus de trois
mille, réunis dans la grande salle du temple. Elle s’assoit en
avant et leur fait pratiquer sa technique   ; elle est si habile
et convaincante, et son énergie est tellement puissante,
que lorsqu’elle quitte la tribune, au bout de cinq minutes à
peine, tous les adeptes demeurent en position de méditation, et ne se rendent compte qu’au bout d’une heure que
leur gourou n’est plus là   ! Telle était l’énergie formidable
qui dynamisait l’assemblée.
    Le couple n’a pas d’argent   : Serge et Marie-Claire ont
du mal à se payer des cigarettes, et la nourriture dont ils
ont besoin. Libert, lui-même étudiant et sans le sou, tente
tant bien que mal de les aider, mais il étudie l’écriture et la
composition musicale dix heures par jour. Serge a prévu
aller assister à des cours avec son ami, mais il ne le fera
qu’une seule fois. Le reste du temps, il le passe au Centre
de méditation. Il y est presque huit heures par jour.
    À leur retour de Californie, Serge et Marie-Claire doivent
se fixer quelque part. Le couple déniche un appartement
dans une vieille maison entourée d’arbres du quartier Notre-Dame-de-Grâce. Située rue Melrose, cette demeure
possède une cour et un sous-sol dans lequel Serge pourra
installer son futur studio, ainsi qu’une petite salle de méditation   ! Dans leur voisinage habitent Louis Valois et Monique Fauteux, Réal Desrosiers, de même que Libert. Ce dernier, devenu directeur musical d’Yvon Deschamps, rend
visite à Serge deux ou trois fois par mois. Il le trouve vraiment sombre et tourmenté et voudrait bien se rapprocher
davantage de son ami. Libert, comme toutes les personnes
rencontrées pour rédiger ce livre, attend de Serge un appel
qui ne vient jamais. «   On appelle Serge, mais Serge ne nous
appelle pas.   »
    Marie-Claire, de son côté, s’inscrit à des cours de chirologie au Centre de chirologie de Westmount. Serge se retrouve seul et peut se plonger de nouveau dans son univers
musical. Il se sent prêt   : sans être encore au sommet de sa
forme, il devine qu’il est resté trop longtemps éloigné de la
musique. Pour l’instant, il ne possède qu’un piano. Alors, il
joue du piano… il joue du piano… il joue du piano. Parfois
huit heures par jour. Il n’a aucun contact avec l’extérieur
en dehors de Marie. Lorsqu’elle rentre, parfois tard le soir,
il parle et parle, tant il est en manque de contacts humains.
Marie, patiente, l’écoute jusqu’aux petites heures, puis repart.
    Pourtant leur relation bat de l’aile. Marie est indubitablement amoureuse de Serge, mais lui n’est plus certain de
l’être. Certes, il aime Marie   : elle est sa jumelle, sa sœur
spirituelle, sa grande amie et sa confidente… Mais il ne
sent plus qu’il est amoureux d’elle. Ils se sentent comme
deux écorchés vifs qui tentent de survivre ensemble   ; pour
l’instant, ils réussissent à se tenir assez loin de leurs démons respectifs et arrivent à fonctionner, mais Marie est
loin de vivre la relation passionnée, romantique et remplie d’amour dont elle avait rêvé. Ils se construisent plutôt
une vie monastique, faite de prières et de méditations, et
ils finissent par accepter leur nouvelle réalité   ; s’ils se rejoignent sur le plan spirituel, leur vie affective et sexuelle
tourne à vide. Le couple est en