Serge Fiori : s'enlever du chemin
de temps à s’établir.
C’est Anne-Marie, autre membre du cercle d’amis – et
une femme magnifique – qui, au lendemain d’une soirée
avec le groupe, pousse Lucie à faire les premiers pas : « Lucie, hier soir, Serge a dormi à côté de moi. J’étais flambant
nue et il ne m’a pas touchée, il ne m’a même pas regardée !
Alors, soit il est homosexuel, soit il est amoureux de toi ! »
L’intégrité de Serge séduit Lucie. Sa décision est prise, mais
elle n’a pas le temps de donner suite à l’élan de son cœur :
dès le lendemain, Serge et Réal annoncent qu’ils partent
en Europe pour huit semaines.
Pourquoi l’Europe et pas l’Amérique ? Parce que la culture musicale britannique inspire nos deux musiciens. Parce
qu’ils apprivoisent aussi la chanson d’expression française
et ses porte-parole. À cause de Brel et de Ferré. À cause de
Led Zeppelin et des Beatles. Fans de tout ce qui entoure
le quatuor de Liverpool, le duo voue un véritable culte au
célèbre groupe. L’idée d’un voyage en Europe, qui a germé
dans leur esprit au cours des derniers mois, naît du désir
et du besoin de faire un pèlerinage culturel sur les traces
de leurs idoles. Ce sera la concrétisation d’un rêve pour les
deux musiciens, et la vie culturelle européenne aura tôt fait
d’élargir leurs horizons ; s’ils auront effectivement marché
dans les traces des Fab Four , c’est tout un univers musical
qui s’offrira à eux, au hasard de leurs déplacements sur le
continent.
En août 1972, les deux amis sont prêts pour le grand dé
part. Munis d’un billet d’avion ouvert et de leur Eurail Pass,
une passe de train illimitée pour tous leurs déplacements
en Europe, ils s’embarquent pour l’Angleterre ; ils visiteront l’Allemagne, la France, la Belgique, le Danemark, la
Hollande et l’Autriche, et finiront leur périple en Italie.
Aussi feront-ils un court séjour dans la famille Fiori.
Budget du voyage : trois cent soixante dollars. Pour
réussir ce périple, ils coucheront dans des auberges de
jeunesse, mangeront des baguettes de pain ou des pizzas et
dormiront le plus souvent possible dans le train, profitant
des longs déplacements. Devenus de véritables musiciens,
avec leurs cheveux au milieu du dos, leur allure d’artiste et
de bohème, les deux amis sont politiquement et culturellement ouverts. Ils prennent l’avion pour la toute première
fois, et vivent un choc culturel dès leur arrivée. L’avion se
pose au légendaire aéroport Heathrow ; sur les murs du terminal s’étalent les lettres géantes BOAC ( British Overseas
Airways Corporation ), une compagnie aérienne qui habite
leur imaginaire peuplé de films de James Bond et d’images des Beatles s’embarquant ici même, sur ce tarmac. Les
deux Québécois sont guidés par ces hôtesses de l’air en
élégants uniformes bleus. L’aéroport, les taxis londoniens,
les bus à impériale : c’est tout un univers fantasmatique,
longtemps rêvé, qui prend soudainement vie.
Les deux amis, émus et troublés, sautent dans un bus en
direction du centre de Londres. Le cœur battant, ils voient
défiler Hyde Park, Piccadilly Circus, Trafalgar Square, où ils
descendent. Là, aux abords de la monumentale fontaine,
les deux voyageurs s’écroulent, fatigués mais heureux,
bouleversés même. Ils pleurent de bonheur et d’émotion
pendant de longues minutes et ne dormiront pas cette première nuit-là, parce qu’ils sont trop excités et trop fébriles.
Pour Serge et Réal, le rêve ultime, le Saint-Graal musical,
c’est le studio d’Abbey Road. Aussitôt débarqués à Londres, ils s’y rendent. Et en baisent le sol. Une émotion tangible les étreint de nouveau. Assis sur le bord du trottoir,
ils regardent avec admiration – avec dévotion, même – les
locaux du studio d’enregistrement des Beatles. Ils ne cessent de se pincer. Et, pour rendre la scène encore plus mythique, histoire de fixer l’image d’Abbey Road de façon indélébile dans leurs mémoires, les jeunes hommes voient
passer Peter Sellers dans sa limousine rose, puis George
Harrison lui-même. C’est le nirvana, l’éden, le paradis ! Venus en pèlerinage, les deux garçons organisent toutes leurs
journées en fonction des spectacles qu’ils iront voir le soir,
idéalement liés d’une quelconque façon aux
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