Serge Fiori : s'enlever du chemin
parti présente ses premiers candidats à l’élection de 1970,
qui verra les libéraux de Robert Bourassa l’emporter.
Serge Fiori, qui a suivi avec passion les discours en
flammés de Pierre Bourgault, du RIN et de René Lévesque,
adopte avec enthousiasme ce nouveau parti et son exaltant projet de société. En ce début de décennie, un vent
d’affirmation et de réveil culturel souffle sur le Québec :
après L’Osstidcho, Yvon Deschamps commence à présenter, sur diverses scènes, ses monologues à caractère social ; les chansonniers occupent tout l’espace musical, des
groupes se forment pour promouvoir l’indépendance, de
grands rallyes s’organisent pour la cause, le Front de libération du Québec multiplie ses actes de violence. Serge est
transporté et s’identifie totalement à cette nouvelle donne
politique, même s’il condamne la violence que certaines
personnes utilisent pour arriver à leurs fins. Devant son
téléviseur, il ne dort plus : il suit avec attention toutes les
nouvelles, tous les reportages autour de la crise d’Octobre,
de la lecture du manifeste du Front, par Gaétan Montreuil,
sur les ondes de Radio-Canada, jusqu’au dénouement
tragique de la crise. Ces manifestations et ces gestes de
violence lui rappellent la révolution cubaine et l’esprit de
détermination qui l’animait. Ce sont des moments historiques et exaltants. Mais Serge est pacifique et rassembleur,
c’est dans un esprit de joie et d’enthousiasme qu’il rêve de
l’accession du Québec à la souveraineté.
Dans la foulée du rapport Parent, les cégeps ont été
créés peu de temps auparavant, et les profs qui y enseignent, souvent des jeunes plutôt à gauche sur l’échiquier
politique, portant barbes et cheveux longs, inculquent à
leurs étudiants des idées nouvelles, parmi lesquelles l’oppression des classes et la domination économique des anglophones au Québec. C’est un terreau très fertile pour un
jeune homme qui s’est fait mettre à la porte de son collège
pour avoir dirigé des débats houleux entre les étudiants et
la direction.
C’est à peu près au même moment que Fiori commence
son histoire d’amour avec la guitare à douze cordes. À cette
époque, il fréquente avec assiduité la boutique d’instruments de musique de Madame Filion, La Tosca, située alors
sur la rue Saint-Hubert. La dame a pris Serge en affection
et elle lui permet d’essayer les différents instruments à sa
guise. Un jour, il tombe sur le présentoir de guitares douze
cordes. Lui qui cherche un son unique, différent, prend
une Norman dans l’étalage et joue quelques notes. Il est
bouleversé. Cette guitare, mise au point quelques années
plus tôt par Normand Boucher, un guitariste de La Patrie,
dans les Cantons-de-l’Est, jouit déjà d’une excellente réputation et est considérée comme l’une des meilleures
douze cordes au monde. Le jeune Fiori est abasourdi par
la richesse sonore de l’instrument, la largeur de son spectre musical et l’amplitude formidable qu’elle donne aux
notes et aux accords. Il décide qu’il lui en faut absolument
une et, dès lors, se met en tête d’épargner chaque sou qu’il
gagne dans cet unique objectif. Au bout de quelques mois,
de quelques contrats dans des endroits plus ou moins fréquentables, mais qui lui rapportent un cachet intéressant,
il achète enfin sa première Norman .
Autour de Serge et de Réal Desrosiers, un nouveau cercle
d’amis prend forme et des liens profonds se tissent. Serge
et Réal continuent de se produire à l’école, puis ils fondent
leur premier groupe, Morphus, auquel s’ajoutent Andy
Harvey et Frank Dodman ; ce groupe deviendra plus tard
les Black and White. Cette fois, c’est du sérieux. Le groupe
fait du jazz fusion, et ses membres travaillent si intensément qu’ils auront bientôt la chance d’enregistrer. Les soirs
et les week-ends, la formation compose des pièces instrumentales ; puis, quelques pièces en anglais, écrites et composées par Serge, s’ajouteront à leur répertoire. Morphus
commence aussi à élaborer son discours résolument nationaliste et Serge Fiori produit alors ses premiers textes en
français, une piste qu’il explore avec plaisir et par laquelle
il se sent de plus en plus attiré. En collaboration avec Guy
Trépanier, le groupe saisit la possibilité d’enregistrer un 45
tours qui
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