Serge Fiori : s'enlever du chemin
aux distractions de toutes natures.
Mais c’est comme l’état de grâce : on peut s’ouvrir à l’occasion inusitée, mais on ne doit pas l’espérer.
Il appert évident que pour un musicien du calibre de
Serge Fiori, la curiosité, l’intuition et le refus des limites
peuvent servir de catalyseurs à la création. Au moment de
la conception de l’heptade, par exemple, il réalise qu’il n’y
a pas assez de notes sur sa guitare. L’exil , Comme un fou , Comme un sage … Il n’y a pas assez de notes pour donner
l’amplitude qu’il souhaite à ces pièces. Il a bien trouvé
quelques accords pour Comme un sage , mais ça manque
d’envergure, d’étendue. Lui vient alors l’idée d’« allonger »
sa guitare. Ah bon ? Il modifie la tonalité des premières
grosses cordes. Au départ, il y a là un mi et un la qu’il transforme en sol et en ré . Cela lui donne un sol naturel, plus
intéressant que le traditionnel accord de sol . Cela change
tout, le champ musical s’agrandit. Il s’amuse alors à expérimenter les accords et les harmoniques, tout en conservant
toujours une basse, comme avec une cithare. En quinze
minutes, la mélodie de Comme un sage est créée ! Malgré
cela, Fiori ne s’emballe pas : il sait qu’il doit maintenant
la jouer, comme un mantra, pendant au moins huit heures, afin de vérifier si elle tient la route. Le processus peut
sembler pénible et laborieux, mais quand ça fonctionne,
quelle satisfaction !
S’astreindre à cette tâche lui semble fondamental, c’est
comme un boulot, l’équivalent de l’employé qui rentre
quotidiennement au travail pour servir les gens. Son travail à lui, sa responsabilité, c’est de faire voyager son public, de le transporter au cœur de la musicalité ; cette volonté lui interdit de tricher, de tourner les coins ronds, de
bâcler ses chansons. Serge ignore comment les autres s’y
prennent pour satisfaire leur public ; quant à lui, il a développé sa propre méthode.
Pour la conception du nouvel album auquel Fiori travaille au moment d’écrire ces lignes, c’est la même chose. Durant les premiers mois, cherchant une voie moins
difficile, il s’est éloigné de sa méthode usuelle et a essayé
d’écrire en utilisant tous les trucs inimaginables : en vain.
Il a écrit des tas de jolis textes auxquels il a greffé tout plein
de jolies mélodies, de beaux thèmes auxquels il a ajouté
des paroles, pour finalement tout rejeter, sans exception. Il
a cru un moment qu’il ne retrouverait jamais plus cet état
de grâce, que cet éclair lumineux ne surgirait plus, quand
paroles et musique se rencontrent. Il a même imaginé qu’il
avait tout dit, qu’après Harmonium, l’heptade et Fiori Séguin, il avait fait le tour de son jardin ; il avait heureusement tort. Lorsqu’il a consenti à revenir à sa méthode
de prédilection, celle qui a produit par le passé de formidables et inoubliables résultats, tout a enfin débloqué. Il
a plutôt travaillé de la manière suivante : de neuf heures à
midi, il observe son iPad sur lequel il fait défiler en boucle
des éléments graphiques un peu abstraits ou des images,
tout en jouant quelques accords. Il tentait du même coup
de provoquer, autant que faire se peut, des « accidents »
créatifs quand, enfin, la boule, cette boule qu’il attendait
depuis dix ans pour écrire des chansons – pour la musique
seule, c’est différent ; il n’a jamais connu de panne sur ce
plan – s’est mise à grandir en lui, et en moins de quinze
ou vingt minutes, il tenait enfin la première chanson de
ce nouvel album. Fiori ne peut pas mesurer le temps que
mettra une chanson à naître : parfois cinq minutes, parfois
cinq jours, parfois cinq mois. L’exil a mis cinq mois avant
de venir au monde.
Notre homme ne peut pas tricher ; quand Fiori a tenté
d’explorer des moyens plus traditionnels pour écrire ses
chansons (écrire d’abord la musique, pour y coller un
texte plus tard, ou le contraire), ses centaines d’essais se
sont tous retrouvés à la corbeille. Il aurait éprouvé plus de
confort à écrire de cette façon, mais il semble que ce ne
soit pas sa manière de faire.
La meilleure façon de résumer son processus de création est peut-être de parler d’« improvisation écrite », car
improviser s’avère certainement le plus grand talent de
Fiori. Depuis
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