Serge Fiori : s'enlever du chemin
Valois a représenté, à ses
yeux, une assise solide et sécurisante. S’ils n’ont pas toujours été présents l’un pour l’autre dans tous les domaines
de leur vie, la musique a constitué l’espace privilégié où
ils se retrouvaient, se reconnaissaient et fusionnaient. Musicalement, ils se découvraient l’extension l’un de l’autre,
des compléments indispensables et nécessaires. Sans mot
dire, Louis saisissait l’essence de la musique d’Harmonium. Le groupe n’a jamais été parfait sur le plan musical,
un peu à l’image des Beatles qui, bien que techniquement
imparfaits, se firent reconnaître par la chimie qui agissait
entre eux et les mélodies qu’elle engendrait. Entre Serge,
Louis et Michel, c’était un peu la même chose : ils n’étaient
pas parfaits, mais possédaient le sens des mélodies et de
l’intégrité musicale. La chimie opérait. Louis comptait
pour beaucoup dans cette attitude et dans cette volonté
de faire constamment avancer les choses.
Comme le bassiste s’avérait particulièrement réservé et
méfiant, Fiori a passé une grande partie de sa vie à le charmer, à le rassurer, à tenter de faire en sorte qu’il s’ouvre afin
de faire disparaître sa méfiance. Il travaillait fort pour obtenir une reconnaissance qui ne venait pas facilement. De
son côté, Louis a tout autant résisté à Serge qu’il l’a aimé.
Il suffit de visionner les images des prestations d’Harmonium pour percevoir ,dans leurs regards complices, l’amour
fraternel qui les unit. Mais à l’époque, ces deux hommes
étaient alors incapables de se l’avouer, de se serrer dans
leurs bras. Serge maintient que si Harmonium a été ce qu’il
est devenu, c’est en très grande partie grâce à Louis Valois,
qui a toujours eu à cœur les intérêts du groupe, qui le faisait passer par-dessus tout, même si lui-même souffrait de
la relation un peu étouffante qui unissait Normandeau et
Fiori. Fiori estime que, plus tard, quand les autres musiciens se sont joints à Harmonium, il aurait dû saborder le
groupe par respect, pour l’intégrité de Louis. Par ailleurs,
les deux musiciens ont toujours partagé des valeurs identiques par rapport à la drogue, aux excès liés aux tournées et
à la présence des groupies ; si l’une d’entre elles s’était jetée
nue sur eux, ils se seraient accordés pour la rhabiller et la
renvoyer chez elle. Sur les plans de l’éthique et de l’honnêteté, ainsi que sur bien d’autres plans, les deux musiciens
partageaient exactement les mêmes vues.
Lucie, quant à elle, témoin involontaire de la dynamique
entre les trois musiciens, souffre de plus en plus et a du
mal à trouver sa place parmi eux et dans la vie de Serge. Le
couple passe de moins en moins de temps ensemble, puisque la musique est devenue la priorité absolue de Fiori.
Lucie est en manque d’intimité ; aussi propose-t-elle à son
amoureux de prendre un appartement avec elle, endroit
qu’ils habiteraient juste tous les deux. Elle en a d’ailleurs
trouvé un, au 690, rue Outremont, au coin de l’avenue Lajoie. La jeune fille sait bien que si le couple ne se retrouve
pas un peu, il va flancher.
Lorsque Serge informe Michel de son déménagement
imminent, celui-ci contre-attaque aussitôt en proposant
une autre possibilité : les deux logements au-dessus du
leur vont se libérer sous peu. Les deux couples pourraient
prendre ces appartements et vivre côte à côte.
Cette proposition ne sourit pas du tout à Lucie ; elle
reste assise, stoïque, alors que Serge la regarde, attendant
sa réponse. La jeune femme est furieuse, prise de court,
elle se sent piégée. La réponse qu’elle s’apprête à donner
va causer beaucoup d’émoi et aura des répercussions sur
la vie de chacun, mais elle n’a pas d’autre choix. Il n’est
pas question d’entretenir cette dynamique de promiscuité
malsaine. Prenant une grande respiration, elle lance, en
regardant Serge dans les yeux : « Tu es libre de prendre cet
appartement si tu veux, mais moi, je m’en vais rue Outremont. » Le regard de Normandeau est éloquent : il fait peser
sur Lucie l’odieux d’une décision qu’il n’accepte pas, qui le
bouleverse et le met en colère. Heureusement, Fiori réagit rapidement : il se tourne vers Michel et laisse tomber :
« Je pars avec elle. » En dépit de l’incompréhension et de la
frustration de Michel
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