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Serge Fiori : s'enlever du chemin

Serge Fiori : s'enlever du chemin

Titel: Serge Fiori : s'enlever du chemin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louise Thériault
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l’adolescence, au sein du band de son père, il
a perfectionné cet art de l’improvisation libre, un apprentissage qui l’a conduit à cette maîtrise de la musique qui
se révèle le pilier de son œuvre. Ses plus grandes chansons
sont le résultat d’improvisations fortuites qu’il a figées
dans le temps. Tels des instantanés, elles sont le «   portrait   »
d’une improvisation captée à une heure donnée d’un jour
spécifique. Comme la photo, il faut prendre des dizaines de
clichés avant d’arriver à celui qui est complet, parfait, celui
sur lequel tout apparaît   : sujet, cadrage, lumière, émotion.
Il faut savoir attendre cet instant privilégié, ce moment
parfait où tout converge, tant la musique que les mots. On
peut tracer un parallèle avec le cinéma   : un réalisateur peut
procéder à vingt-cinq prises d’une scène pour arriver à la
séquence parfaite   ; cela procède du même état de grâce.
L’acteur, à force de répéter sa scène comme un mantra, en
viendra à habiter complètement le personnage, à faire les
choses sans réfléchir, et le réalisateur, aux aguets, captera
enfin le moment qu’il attend   !
    Pour Fiori, improvisation, instinct et persévérance sont
des gages de réussite et président, à tout le moins dans son
œuvre, à toute création valable. Le résultat doit le transporter lui-même, s’il souhaite transcender les autres. Soulever le public   : voilà la signature de Serge Fiori depuis ses
débuts, et il y est parvenu à toutes les époques de sa carrière. Quand une chanson forte émerge, elle n’appartient
déjà plus à son créateur et elle entre dans le domaine public   ; pour obtenir ce résultat, il faut que tous ces éléments
s’entremêlent au sein d’une harmonie plus grande que
soi. La transe a permis à Serge – en fait, elle lui a imposé,
puisqu’il dit lui-même «   tu ne places pas une voix, une voix
te place   ; tu ne places pas des notes, des notes te placent   » –
de composer des paroles aussi porteuses que mélodiques,
des mots qui ne pourraient jamais être substitués sans diluer la chanson. Si, par exemple, il avait chanté «   où donc
sont allés les gens   » au lieu de «   où est allé tout ce monde   »,
la chanson ne serait pas devenue cet hymne rassembleur
qu’on connaît. Cela, Fiori en est persuadé, et il n’estime
une chanson achevée que lorsqu’elle le soulève lui-même,
quand il se convainc qu’il n’y a plus rien à modifier, à ajouter ou à retrancher, même si le processus doit prendre dix
ans.
    Ce souci constant de l’extase du spectateur provient
de son expérience musicale dans les bars. Quand toute
l’audience, ou presque, n’a d’yeux et d’oreilles que pour
lui, celui que Serge Fiori veut aller chercher, c’est le spectateur au fond de la salle qui semble indifférent. Alors, il module sa musique, il improvise, il peaufine son jeu, jusqu’à
ce qu’il voie ce client embarquer à fond. Il sait qu’il exécute
une bonne chanson, mais il n’hésite pas à l’ajuster pour
aller chercher tout le monde. Ce sera pareil dans les arénas
et les centres sportifs   : il chantera, bien sûr, pour les deux
mille personnes au parterre, mais surtout pour les dix mille
personnes installées dans les gradins, afin d’aller chercher
ces gens un par un. C’est de cette façon que l’ensemble du
répertoire d’Harmonium est devenu, à toutes fins utiles, la
propriété des centaines de milliers d’admirateurs et qu’il
est passé dans le bagage commun du peuple québécois.
Qui n’a jamais fredonné «   Dis-moi c’est quoi ta toune …   »   ?
    En spectacle, Serge peut se permettre d’aller très loin,
parce que ses chansons appartiennent à un public qui
change tous les soirs, une foule qui pousse le musicien à
moduler sa performance en fonction d’elle. Chaque chanson qui commence, et qui donnera lieu à une improvisation unique, n’est plus vraiment de Serge Fiori, mais bien
du public lui-même, qui l’interprète à sa façon. Grâce à
cette impression que la foule s’approprie la musique, chaque prestation devient différente de la précédente.
    Aujourd’hui, c’est sans doute l’aspect qui manque le plus
à Serge Fiori lorsqu’il constate les effets de son retrait de la
scène. Soulever les gens, les transporter, leur procurer du
bonheur et leur offrir ses chansons comme des cadeaux.
Il peut partiellement

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