Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
était, attendu de pied ferme par Filiberti qui ne lâchait plus son 24-29. Tous les coéquipiers de cet homme avaient été tués. Lui, comble de malchance, était fiché par Filiberti. Le commissaire n’était donc pas très pressé d’envoyer le blessé à l’hôpital. Il préférait l’interroger. Il me demanda le concours d’Issolah qui joua les prisonniers FLN. On le jeta dans la cellule du blessé avec un coup de pied aux fesses.
— On n’a pas de chance, pleurnicha Issolah qui était un très bon comédien. On en a vraiment pris plein la gueule aujourd’hui.
— Oui, répondit l’autre, mais Zighoud Youssef, le chef du Constantinois, s’en est sorti. Si Khaled aussi.
— Si Khaled 32 ? Lequel ?
— Si Khaled… El Mesri 33 .
Le blessé expira sans en dire plus.
Un autre responsable avait eu la cuisse fracturée par une balle de 12,7 34 . Il fut opéré par le docteur Vincent, le chirurgien de l’hôpital de Philippeville, assisté du docteur Py d’Alger, venu en renfort. Ils n’arrivaient pas à l’anesthésier. Le penthotal que lui avait injecté l’infirmière ne lui faisait aucun effet. Il fallut une deuxième dose. À peine l’opération était-elle terminée que le rebelle ouvrit les yeux. Les chirurgiens s’étonnèrent et finirent par comprendre : la plupart de nos assaillants étaient abrutis par tout le kif qu’on leur avait fait fumer, ce qui expliquait leur indifférence quand nous tirions sur eux.
À 1 heure de l’après-midi, tout était fini. Conformément aux consignes de Zighoud Youssef, les chefs, voyant que l’affaire tournait mal, avaient ramassé les armes des morts et s’étaient repliés en laissant leurs hommes, valides ou blessés, s’expliquer avec nous. Zighoud Youssef avait froidement calculé les pertes importantes qu’il aurait, car ses combattants étaient faiblement armés. L’essentiel était de frapper l’opinion. Plus il y aurait de sang, plus on en parlerait.
Zighoud Youssef avait mis en avant des paysans dopés au haschish. Pour lui, leur mort ne comptait pas plus que celle des civils français qu’il leur avait ordonné de massacrer. Je me rendis compte que, sans mes informations, il y aurait eu à Philippeville un carnage semblable aux atrocités d’El-Halia.
El-Halia
Vers 2 heures de l’après-midi, nous fûmes prévenus que l’attaque, concentrée principalement sur Philippe-ville, avait touché d’autres villages et petites villes du Constantinois.
À vingt-deux kilomètres à l’est, se trouvait une mine isolée où l’on exploitait du sulfure de fer. Elle avait été choisie comme une des cibles du FLN. À El-Halia, deux mille musulmans cohabitaient avec cent trente Européens. Les uns et les autres étaient payés au même tarif et bénéficiaient des mêmes avantages sociaux. Cette situation était exactement ce que le FLN ne pouvait pas supporter. Je n’avais pas cru que les rebelles attaqueraient cette mine ni qu’ils auraient la lâcheté de ne s’en prendre qu’aux civils d’origine européenne.
Pourtant, Zighoud Youssef avait donné comme consigne de tuer tous les civils européens, et de les tuer avec toute la cruauté possible. De ces exactions, il escomptait que les Français, frappés de stupeur et terrorisés, déclenchent une répression sans précédent qui souderait définitivement la population musulmane contre les pieds-noirs et sensibiliserait l’opinion internationale.
À l’heure du repas, par une chaleur caniculaire, deux groupes de fellaghas avaient attaqué par surprise et commencé à massacrer tous les civils qui se trouvaient chez eux. Dans les maisons, il y avait des enfants qu’on tenait à l’abri de l’insolation et des femmes qui préparaient tranquillement le déjeuner en attendant le retour de leurs maris.
J’avais fait le tour de la mine quelques jours plus tôt et vérifié le système d’autodéfense très sérieux que le directeur avait mis en place. Compte tenu des excellentes relations qui existaient à El-Halia entre Français et musulmans, je n’avais guère d’inquiétude. Les ouvriers pieds-noirs, de leur côté, avaient entièrement confiance en leurs camarades musulmans. Ils ne doutaient pas un instant que la solidarité fraternelle qui les unissait jouerait en cas d’attaque. Pour ne pas prendre le risque qu’il y ait des fuites susceptibles de montrer au FLN que nous étions prévenus, ce qui aurait amené à reporter l’attaque, à griller mes
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