Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
C’était un contremaître musulman qui avait assassiné la famille d’un de ses ouvriers français.
— Mais pourquoi tu les as tués, bordel de Dieu, ils ne t’avaient rien fait ! Comment tu as pu tuer des bébés ?
— On m’avait dit que je ne risquais rien.
— Tu ne risquais rien ? Comment ça ?
— Hier, il y a un représentant du FLN qui est venu nous trouver. Il nous a dit que les Égyptiens et les Américains débarquaient aujourd’hui pour nous aider.
Il a dit qu’il fallait tuer tous les Français, qu’on ne risquait rien. Alors j’ai tué ceux que j’ai trouvés.
Je lui ai répondu en arabe :
— Je ne sais pas ce qu’Allah pense de ce que tu as fait mais maintenant tu vas aller t’expliquer avec lui. Puisque tu as tué des innocents, toi aussi tu dois mourir. C’est la règle des parachutistes.
J’ai appelé Issolah :
— Emmène-le, il faut l’exécuter immédiatement ! Pour les autres, va me chercher Bébé.
— Bébé le garagiste ?
— Exactement.
Bébé, c’était un adjudant de la Résistance. Son surnom lui venait de son air juvénile. C’était le chef du service auto.
Comme tout le monde savait ce que nous faisions, quelques jours plus tôt, Bébé s’était présenté à moi.
— Mon capitaine, il faut que je vous parle.
— Allez-y, Bébé.
— Voilà. Je suis au courant de ce que vous faites. Je voudrais travailler avec vous.
— Désolé, Bébé, mais j’ai tous les hommes qu’il me faut. Je crois que vous êtes plus utile à votre garage.
Déçu, il insista :
— Mon capitaine, si un jour vous avez besoin de renforts, n’oubliez pas que je suis là.
— Eh bien c’est entendu, je n’oublierai pas.
Le 20 août, je me suis souvenu de la proposition de Bébé :
— Si j’ai bonne mémoire, lui ai-je dit, vous m’avez dit que vous étiez au courant de ce que je faisais, que vous vouliez travailler avec moi.
— Tout juste, mon capitaine.
— J’accepte votre proposition. Aujourd’hui, j’ai justement un travail pour vous. Allez chercher tous vos hommes avec leur PM et tous les chargeurs pleins que vous pourrez trouver.
J’ai fait aligner les prisonniers, aussi bien les fels que les ouvriers musulmans qui les avaient aidés.
Au moment d’ordonner le feu, Bébé était nettement moins chaud. Il aurait sûrement préféré retourner dans son cambouis. J’ai été obligé de passer les ordres moi-même. J’étais indifférent : il fallait les tuer, c’est tout, et je l’ai fait.
Nous avons feint d’abandonner la mine. Des pieds-noirs rescapés ont été chargés de faire le guet.
Quelques jours plus tard, comme on pouvait s’y attendre, les fellaghas sont revenus. Une fois prévenus par nos guetteurs, nous y sommes montés avec le premier bataillon.
Nous avons fait une centaine de prisonniers qui ont été abattus sur-le-champ.
Il y a eu d’autres exécutions sur mon ordre après la bataille de Philippeville. Nous avions capturé environ mille cinq cents hommes, des rebelles arrêtés le jour même ou le lendemain. On les a réunis dans une grande cour. Je suis venu avec les policiers pour faire le tri. Chaque service – RG, sûreté urbaine, PJ, gendarmerie – était censé récupérer ceux qu’il souhaitait interroger.
Bien sûr, parmi ces prisonniers, il y avait des montagnards, des types de la campagne qu’on avait enrôlés de force. Souvent nous les connaissions. Ceux-là, nous les avons vite libérés.
Mais il y avait les autres, les acharnés, ceux qui étaient prêts à recommencer le lendemain si on leur en donnait l’ordre. Une fois qu’ils avaient été interrogés et que nous en avions tiré tout ce que nous pouvions, que fallait-il en faire ? J’ai bien essayé de les répartir entre les différents services qui les avaient interrogés. Mais, sachant qu’il s’agissait d’éléments irrécupérables, chacun préférait me les laisser pour que je m’en occupe. Ce n’était pas dit ouvertement, mais on me le fit assez clairement comprendre.
Pourtant, j’ai insisté tant que j’ai pu pour que les prisonniers ne me tombent pas entre les mains :
— Allons, commissaire, cet homme est pour vous. Prenez-le !
— Vous ne pouvez pas me le garder ? répondait le commissaire. J’essaierai de le récupérer demain.
— Mon cher commissaire, ça m’embête beaucoup, mais je ne sais plus où les mettre. Et vous le gendarme ?
— Moi ? Je ne peux pas
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