Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
l’emmener à la brigade. Je n’ai pas de place.
— Oh, vous commencez vraiment à m’emmerder, tous autant que vous êtes !
Le lendemain, j’ai recommencé mais ils étaient toujours aussi fuyants.
— Et cette fois, vous les voulez, oui ou merde ?
Tous les civils regardaient leurs souliers.
— Très bien, j’ai compris.
Alors, j’ai désigné des équipes de sous-officiers et je leur ai donné l’ordre d’aller exécuter les prisonniers.
Je m’efforçais de ne jamais désigner les mêmes hommes pour accomplir ce genre de besogne.
C’étaient rarement des appelés. Sauf quand ils étaient particulièrement aguerris et avaient au moins un an de service. Ils n’avaient pas d’état d’âme.
Quand tout fut terminé, je fis un compte rendu et j’aidai les inspecteurs des RG à rédiger le leur. Le commissaire Arnassan étant en mission en France, je m’étais installé dans son bureau. J’appris que d’autres massacres avaient eu lieu à El-Arouchi, à l’oued Zenatti, à Catinat, à Jemmapes. À Constantine, le neveu de Ferhat Abbas, jugé francophile, avait été assassiné dans sa pharmacie.
Nous avons ramassé les morts du FLN qui se trouvaient dans les rues et les avons rangés au stade municipal. Cent trente-quatre cadavres étaient ainsi alignés sur une piste du stade, gardés par des soldats du bataillon du 18. Ceux qui étaient tombés dans les buissons, on ne les a retrouvés que les jours suivants. À l’odeur, car nous étions en plein mois d’août.
Au total, il y avait à peu près cinq cents morts du côté du FLN, en comptant ceux qui avaient attaqué les forts défendant Philippeville et s’étaient fait recevoir à la mitrailleuse.
Le journaliste local est venu rôder autour du stade. Il a négocié avec la sentinelle et a réussi à entrer pour prendre des photos, quitte à déplacer quelques corps pour faire plus vrai. Les clichés ont été vendus à prix d’or à Life. Les cent trente-quatre morts sont de ce fait devenus, grâce aux commentaires américains, cent trente-quatre malheureux prisonniers exécutés par les parachutistes français. La photo était truquée, mais la presse voulait des images prouvant que nous étions des salauds, et peu importait lesquelles.
J’ai demandé à la municipalité de Philippeville de mettre les pompes funèbres à ma disposition et de me montrer où était le cimetière musulman. Il fallait creuser une fosse orientée vers La Mecque. Là-bas, au mois d’août, le sol c’est de la brique. Une pelle mécanique était indispensable. La seule qui fût disponible se trouvait à l’école d’agriculture. Je suis allé voir le directeur avec Soutiras, Issolah, Misery et deux autres hommes, des pieds-noirs. Ils s’appelaient Maurice Jacquet et Yves Cuomo. Tous deux étaient des caporaux-chefs engagés, jusque-là utilisés comme chauffeurs et mécaniciens. Ils parlaient l’arabe couramment.
Le directeur de l’école d’agriculture était un officier de réserve. Il a pourtant refusé de nous prêter sa pelleteuse. J’ai dû le menacer de l’arrêter pour le forcer à céder l’engin et un chauffeur. J’ai fait creuser une fosse de cent mètres de long, deux mètres de large et un mètre de profondeur. Nous y avons enseveli les corps.
Le lendemain, une femme des services d’hygiène de la préfecture est venue à mon bureau. Elle représentait les autorités d’Alger qui me faisaient envoyer de la chaux vive pour faire disparaître les cadavres.
Le même jour, nous avions reçu, toujours d’Alger, par la voie hiérarchique officielle, un message de l’état-major qui disait d’arrêter la répression.
Mais, par un autre circuit, on me fit discrètement passer, au nom de toute la « crémerie », les félicitations appuyées de Lefort 36 , mon successeur à la section d’instruction du Service Action.
Le lundi 22 août 1955, le général Jacques Massu appela Mayer pour lui annoncer sa visite. Massu voulait profiter des événements récents pour inspecter notre unité. Il avait le titre de commandant de la 10 e division parachutiste, mais elle n’était pas encore parfaitement organisée.
En moins d’un an de guerre, Massu n’avait pas eu le temps de bien connaître les unités placées sous ses ordres. Il était abasourdi de voir que dans un combat aussi violent nous ayons eu deux tués seulement.
Il déjeuna au mess et, avant de remonter dans son hélicoptère, il posa enfin la question qui
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