Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
huit cent mille habitants, représentaient un travail énorme.
Cette action constitua une spectaculaire démonstration de force de nos unités. L’effet psychologique produit permit de briser la grève insurrectionnelle en moins d’une heure. Les devantures des magasins qui étaient restés fermés furent arrachées. Et les commerçants, qui avaient été prévenus de ce qu’ils risquaient, furent bien obligés de se mettre derrière leur caisse pour éviter d’être pillés.
Je supervisais ces opérations à la préfecture lorsque je reçus la visite d’un civil français qui se présenta comme un cadre du personnel de l’organisation des transporteurs maritimes. Il me dit que les dockers étaient en grève, que c’était une catastrophe, qu’il fallait faire quelque chose. Je me suis précipité au camp de Beni-Messous pour recruter de la main-d’œuvre. Avec un adjudant-chef, nous avons emmené deux cents hommes. Nous les conduisîmes au port sous l’escorte de jeunes soldats appelés, des sapeurs parachutistes. Les prisonniers ont déchargé les bateaux deux fois plus vite que les dockers. Le cadre des docks a insisté pour que les prisonniers soient rémunérés. Tout le monde était content.
Après avoir fait décharger les bateaux, je revins à la préfecture vers midi. Je comptais déjeuner rapidement a L’Île-de-Beauté, mais, en traversant la place, je fus intercepté par un lieutenant de la Légion qui m’invita au mess.
À ma grande surprise, je m’aperçus que les serveurs s’étaient mis en grève. Un brouhaha montait de la grande salle au milieu de laquelle nous nous étions installés, à la table de deux PFAT 69 , des sœurs bretonnes de mes connaissances.
Les jeunes femmes nous accueillirent avec des sarcasmes :
— Eh bien, on peut vraiment vous féliciter, vous les paras. Ne même pas avoir été capables d’empêcher la grève au mess ! On peut se demander comment ça doit être ailleurs. Ah, vous pouvez être fiers.
Un serveur se promenait d’un air narquois entre les tables. Je l’ai interpellé :
— Alors, c’est quoi ce bordel ? Qu’est-ce que tu attends pour nous servir ?
— Je suis en grève.
— Quoi ?
Le mess devint silencieux tout à coup.
— Je vous dis que je suis en grève et que je ne vous servirai pas. Si vous n’êtes pas content, c’est pareil.
Je me suis levé brusquement. Le serveur me toisait avec insolence. Alors, je l’ai giflé. Lui et ses collègues ont tout de suite repris leur travail.
Au moment du café, le maître d’hôtel est venu me dire que le gérant du mess voulait me voir. Comme je ne lui ai pas fait l’honneur de lui rendre visite, il est allé pleurer à l’état-major, auprès du colonel Thomazo, dit Nez de Cuir. Je fus même convoqué. Thomazo, responsable du mess, voulait me punir de huit jours d’arrêts. J’ai refusé de signer. Je lui ai dit ce que je pensais de la qualité de son établissement et je suis parti. Le colonel Mayer a fait mettre la demande de punition au panier.
Mes hommes et les lieutenants de mon régiment, ayant appris cet incident, voulaient égorger Thomazo. Ils auraient mis ça sur le compte du FLN. J’ai essayé de les calmer. Ils sont quand même allés mettre un peu de désordre.
C’est ainsi que les officiers du l er RCP se sont vu interdire l’accès du mess mixte d’Alger.
Le 29 janvier, deuxième jour de la grève, aucun employé des services publics n’osa débrayer. Chacun se sentait surveillé par les parachutistes. Des commerçants restèrent néanmoins fermés. C’était essentiellement ceux dont les magasins avaient été ouverts de force et qui étaient obligés de remettre un peu d’ordre.
Les parachutistes s’attachèrent à repérer les meneurs. Les entreprises étaient visitées et les éléments qui n’avaient rien à y faire étaient systématiquement embarqués.
Tel fut le cas pour les chantiers de maçonnerie. Nous interrogions les ouvriers :
— Pourquoi est-ce que vous ne travaillez pas ?
— Nous faisons la grève.
— Et pourquoi faites-vous la grève ?
— M ais parce qu’on nous a dit de la faire.
— Et qui vous a dit ça ?
— D es gens qu’on ne connaît pas.
— Des gens du FLN ?
— Ça se peut.
Là, contre toute attente, nous procédions à une vérification d’identité. Il nous suffisait de trouver quelqu’un qui n’avait rien à voir avec le chantier, un coiffeur par exemple, pour avoir la
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