Services Spéciaux - Algérie 1955-1957
nuit et une sieste d’une heure dans la journée. Comme je ne fumais pas, je tenais le coup en buvant des litres de café. C’était un soldat du contingent qui conduisait la Jeep où je me trouvais le plus souvent. Une nuit, il s’était endormi et nous étions partis dans le décor. Un officier du service auto de la compagnie de QG nous avait fait asseoir pour que nous prenions un peu de repos. Il avait mobilisé tous ses mécaniciens. À l’aube, la Jeep était remise à neuf.
Chaque matin, après un dernier café, nous nous retrouvions avec Trinquier et allions voir Jacques Massu à Hydra pour lui raconter ce qui s’était passé. Il nous recevait chez lui, secrètement, de sorte que nous n’avions pas de contacts avec les gens de la division. Nous savions qu’après nous avoir entendus, il rencontrait Lacoste.
En remettant à Massu sa feuille du manifold, je lui donnais de rapides explications sur les opérations. Les exécutions étaient souvent assimilées à des tentatives d’évasion manquées. Je m’efforçais de ne pas trop lui laisser le temps de réfléchir et de ne pas le gêner.
Massu, par une sorte de code tacite, ne s’exprimait à ce moment que par un grognement dont on ne pouvait dire s’il s’agissait de félicitations ou d’une marque de désapprobation. De toute façon, il avait une immense qualité : celle de toujours couvrir ses subordonnés.
Si les réunions entre Massu, Trinquier et moi étaient quotidiennes, nous faisions en sorte de limiter celles qui mettaient en présence les chefs des régiments. Ils avaient trop tendance à rivaliser entre eux. Chacun, en effet, annonçait fièrement ses résultats en espérant avoir fait mieux que l’autre. Au printemps, quelqu’un avait même eu l’idée idiote d’effectuer un pointage des ttrmes prises au FLN par chaque unité. Ce système du tableau de chasse avait créé des rivalités puériles et absolument détestables. En Indochine, où ce genre de compétition se pratiquait déjà, je me rappelle qu’un pistolet à bouchon avait été comptabilisé par un régiment comme arme d’instruction. Nous en serions bientôt là.
Chaque jour, j’adressais par ailleurs à Teitgen un rapport nominatif indiquant le nom de toutes les personnes arrêtées. Pour chacune, il lui fallait signer un arrêté d’assignation à résidence. Je pense que Teitgen a toujours su que les suspects les plus sérieux dont le nom figurait sur cette liste étaient torturés, mais il ne savait peut-être pas qu’après avoir été torturés, ils étaient exécutés. À moins qu’il ait fait semblant de ne pas le savoir 71 .
La terreur
En demandant aux militaires de rétablir l’ordre à Alger, les autorités civiles avaient implicitement admis le principe d’exécutions sommaires. Lorsqu’il nous a semblé utile d’obtenir des instructions plus explicites, ce principe a toujours été clairement réaffirmé.
Ainsi, à la fin du mois de janvier 1957, le 3 e RPC de Marcel Bigeard captura des tueurs chevronnés connus sous le nom de groupe de Notre-Dame d’Afrique. Une douzaine d’hommes au total. Ils avaient été identifiés comme ayant perpétré plusieurs attentats visant tant des Français que des Algériens. Bigeard me dit qu’il ne savait qu’en faire.
J’en ai parlé à Trinquier, Le lendemain, nous devions justement assister à une réunion des chefs de corps de la division.
Au cours de la réunion, Bigeard posa abruptement la question qui le travaillait :
Alors, qu’est-ce que je fais de ces types ?
— Il faudrait peut-être leur faire prendre le maquis, dit Trinquier.
— Oui, un maquis éloigné, précisa Massu.
Tout le monde avait compris.
— Attendez quand même un peu, reprit le général. Nous allons avoir la visite de Max Lejeune 71 . Je vais lui en toucher deux mots. Ce sera une bonne occasion de savoir ce qu’il a dans le ventre.
Lors de l’entrevue qu’il eut en tête à tête avec Max Lejeune, Massu lui dit qu’il avait appréhendé un groupe de terroristes et qu’il se demandait s’il valait mieux les remettre à la Justice ou les liquider.
— Vous vous souvenez du DC3 d’Air-Atlas, l’avion qui transportait Ben Bella, le chef du FLN, et ses quatre compagnons, le 22 octobre dernier 72 ? demanda Max Lejeune.
— Monsieur le ministre, qui ne s’en souvient pas ! fit Massu.
— C’est une affaire que je connais bien puisque le président Guy Mollet m’a laissé me débrouiller
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